vendredi 17 décembre 2010

Enfance, première partie : du CP au CE2.

Je l'ai écris la dernière fois, aux abords de mon passage en CP, ma mère a obtenue une mutation dans une école à classe unique, à une dizaine de kilomètres de chez nous. Dès lors la décision fut prise: elle nous prendrait dans sa classe, nous emmènerait à l'école le matin, nous en ramènerait le soir. Pendant 3 ans, nous avons connus ces allers-retours en famille. Trois années qui forment une éternité dans ma mémoire.

J'ai du me faire une joie de avoir que j'irais à l'école avec maman, que j'allais la retrouver, passer plus de temps avec elle, être à nouveau sa petite fille pour de vrai. Sans compter que les instituteurs de l'école près de chez nous me faisaient peur. J'avais entendu parler de coups de règles sur les doigts (ou sur les tables), de la rigueur et de la sévérité. Maman semblait être farouchement opposée à "ces méthodes là", que je visualisait en imagination à défaut des les connaître, dressant sans doute un tableau bien plus noir que dans la réalité.

Peu importe: fin aout, nous visitions en famille la nouvelle école de maman, avec papa. Nous aidions ainsi maman à emménager son matériel pédagogique personnel dans sa nouvelle école, avec notre camping-car tout neuf, avec lequel nous avions voyagé tous les quatre pour la première fois pendant l'été. Et en septembre, nous y suivions notre première journée de classe dans cette nouvelle école. Deux petites nouvelles dans une école où les gamins se connaissaient depuis l'enfance. Et maman souhaitais que nous ne disions pas que nous étions ses enfants. Nous devions l'appeler "maîtresse", comme les autres, et ne pas nous conduire trop familièrement avec elle.
Mais en moins de 20 minutes le secret était éventé. J'étais mortifiée de ma gaffe.
Je ne me souviens pas de la réaction de maman, mais je suppose qu'elle a du réaliser que c'était un rôle de dissimulation bien difficile pour une gamine de 6 ans.

Ensuite je me souviens de choses confuses, désordonnées.
De maman qui organisais sa classe en ilots de tables, deux par deux, parfois à trois, en fonction des groupes d'âges. Je me souviens de l'aménagement progressif de l'école, avec de plus en plus d'étagères, de plus en plus de fichiers pédagogiques. Je me souviens de l'apprentissage de la lecture avec "La sorcière et moi", qui m'avait tant passionnée que je m'exerçais à lire le soir les fiches suivantes, dans ma hâte de connaître la suite de l'histoire... et j'avais fini par lire tout le roman, bien longtemps avant mes petits camarades. Une période relativement heureuse.

La première année ne s'est pas trop mal passée. Si l'autorité et les méthodes pédagogiques de ma mère étaient contestées par certains parents d'élèves, je n'en avais alors pas trop conscience, ou bien je n'en ai pas le souvenir. Je garde plutôt en mémoire les ateliers créatifs divers et variés: le métal repoussé, la peinture vitrail, les dessins en relief avec des gommes spéciales, l'apprentissage du tressage de brins de laine... très important puisque maman avait de moins en moins le temps de me faire mes tresses le matin: je voyais dans cette activité la possibilité d'apprendre à me coiffer moi même.

Je ne sais pas à quel moment les choses ont dérapé. Je sais qu'un jour vers mes 7 ans, je me suis cassé un os du pied. J'étais trop petite à l'époque pour les béquilles et mon père m'en a confectionné dans son atelier. Cet été là, nous avons franchis la Manche en camping-car, visité Londres et l'Ecosse...
Peut être est ce après cela que les choses ont commencé à se dégrader... mais peut être était ce déjà fait.

Maman n'allait pas bien. Elle pleurait parfois sans raison, et puis éclatait dans des colères épouvantables dans lesquelles elle cassait tout. Quand nous ne rangions pas notre chambre et qu'elle était en proie à ces crises, elle dégageait le sol de notre chambre en jetant tout ce bric à brac par notre fenêtre, à l'étage. Il ne nous restait plus, à ma soeur et à moi, qu'à aller tout ramasser, autant que nous pouvions en tenir dans nos bras, et remonter. J'avais déjà à coeur que les voisins ne voient pas tout ça. Heureusement le chemin sur lequel était jetées nos affaires n'avait pas de vis à vis, et seuls les gens qui passaient sur la route à 3 mètres de là auraient pu surprendre notre humiliation. C'était déjà arrivé: une fois, peut être la première, c'était sur la route devant la maison qu'elle avait éparpillées nos affaires. Une route très peu passante, heureusement, presque une impasse. Mais une rue, avec des voisins pour regarder.

Il est arrivé aussi deux fois que la frénésie de rangement de notre mère la pousse à jeter au feu nos affaires. Ainsi elle a un jour brûlés des déguisements qui faisaient notre joie. C'était un jour d'hiver, et comme souvent la cheminée était allumée. Elle rangeait son propre monde, brulait les papiers inutiles. Et puis elle était venue dans notre chambre, je suppose (j'ai oublié l'enchaînement des événements, n'en retenant que le résultat définitif). Elle avait constaté le désordre, en avait été excédée et avait attrapé à bras le corps une portion des éléments à ranger, l'avait emportée avec elle dans le couloir, traversant toute la maison pour aboutir au salon, à la cheminée, et y fourrer habits, jouets, déguisements, 33 tours... Je me souviens de la détresse et de la colère de ma sœur devant sa jolie jupe "de princesse" en train de brûler (un jupon bohémien blanc avec un liseré doré incrusté dans la maille).

Une autre fois, après avoir jetées nos affaires sur le chemin sous nos fenêtre, nous avions été ramasser. Comme d'habitude nous rangions au fur et à mesure les brassées rapportées, ne voulant courir le risque que les objets passent une nouvelle fois par la fenêtre. Ce travail rendait plus long le dégagement du chemin. Nous étions en pas, accroupies pour ramasser livres, peluches et autres objets enfantins, lorsque nous avons entendu la voiture de notre mère démarrer, reculer pour sortir du garage... nous avons juste eu le temps de nous garer, de voir la voiture écraser ce qui restait sur le chemin, puis tourner dans la rue et s'éloigner. Le chemin sous notre fenêtre conduisait au jardin et au garage. En pente, notre mère accélérait toujours pour le monter, bien que n'ayant guère de visibilité avant cet élan prit, en raison d'un virage et de haies. Ce jour là, elle aurait très bien pu nous heurter, au lieu de briser en morceaux notre 33 tour préféré.

Voilà pour l'ambiance à la maison.

Pour ce qui est de l'école, maman y piquait des colères épouvantables.
Elle avait instaurée une sorte de familiarité avec elle, que les élèves appelaient par son prénom voire tutoyaient. Mais ce climat n'était pas forcément favorable à la discipline, et lorsque celle ci n'était pas respectée, elle s'emportait dans des colères effrayantes.

Par ailleurs, ses méthodes étaient pour beaucoup basées sur l'autonomie, l'autodiscipline. C'est ainsi que j'ai appris à tricher, et ma soeur aussi. Cette dernière, à 30 ans, ne sait toujours pas ses tables de multiplication. Quant à moi j'ai de grosses lacunes en français: la grammaire et la conjugaison sont des domaines dans lesquels j'ai trop triché par facilité pour en assimiler les concepts. D'où mes fautes d'accord, que j'apprends aujourd'hui à corriger, souvent de manière empirique, au cas par cas.

Les parents mécontents se sont multipliés et l'ont fait savoir. Ma mère était inspectée très souvent, et chaque fois la même fébrilité se saisissait d'elle, la même angoisse, mais aussi la même colère, celle née de sa conviction de faire au mieux, mais d'être incomprise et persécutée par le système. Elle avait le sentiment que son inspectrice la détestait.
D'ailleurs à cette époque nous recevions des coups de fil anonymes la nuit, et je l'ai souvent entendue dire que c'était l'inspectrice. Nos parent pourtant nous disaient aussi que c'était un fantôme, un incident sur la ligne, qui faisait sonner le téléphone ainsi, du même genre qui faisait sauter l'électricité si souvent.

À l'école, ça n'allait pas. Les élèves n'allaient pas, je n'allais pas, nous n'allions pas.
Parmi les élèves, une fille était complexée par la maladie grave qui collait au lit sa grande soeur. Un garçon avait découvert son père dans le grenier de sa maison après que celui-ci se soit suicidé à la carabine. Un autre vivait avec l'angoisse que son père parte encore de la maison avec la caisse du commerce où sa mère était employée. Deux petites filles avaient été "surprises" à copier le numéro d'enfance maltraitée et disaient à leurs petites camarades de se méfier de leur beau père. Une fille s'arrachait les dents (et pas toujours de lait)... Je vivais dans ce climat délétère.

J'ai commencé très tôt à souffrir d'énurésie diurne. Je faisais pipi dans ma culotte, incapable de me retenir, ayant la vessie irritée en permanence. Je sentais le pipi et les autres se moquaient de moi en conséquence. Puis j'ai commencé à souffrir de terribles douleurs dans les jambes. Comme si on me broyait l'os à l'intérieur des membres, qu'on me déchirait la chair. Au point de ne plus pouvoir marcher. Mais sans que les examens médicaux ne révèlent quoi que ce soit. J'étais trop jeune pour savoir ce qu'étaient les troubles psychosomatiques et sans doute le médecin de famille pensait-il que j'étais trop jeune pour en avoir... Il a conclu à des problèmes de croissance.

En même temps je commençais à jouer de plus en plus clairement le rôle de souffre douleur au milieu des autres gamins. On se moquait de moi, on me mettait à l'écart. On me refusait de participer aux jeux, comme au foot ou à la marelle. Et puis on me visait plus ou moins ouvertement, quand il s'agissait de jeux de ballons: recevoir une balle une ou deux fois en 3 ans dans la figure, c'est un accident. Plus d'une dizaine de fois en quelques mois, c'est un acte volontaire de la part des tireurs.
J'ai très vite développée une peur panique vis à vis des jeux de ballons, même lancés doucement à la main. Mais je me souviens des parties de ballon prisonnier qui nous rassemblaient tous dans la cours, au cours desquelles je m'acharnais à ne surtout pas me laisser approcher par le ballon, que ce soit avant ou après un rebond. Ce trait de caractère n'incitait pas les autres enfants à me prendre dans leur équipe, bien que ce refus du jeu puisse devenir un atout: quand toute mon équipe avait été faite prisonnière à force de n'avoir pas rattrapé le ballon qui les avait touchés, je restais seule sur le terrain. Mais il était rare que je finisse par attraper ce fichu ballon.
J'ai gardé cette angoisse pendant des décennies.

Dans la catégorie des anecdotes relatives aux élèves, un jour, en cours de sport, un des gamins a refusé de participer à l'exercice demandé. Ma mère commençant à se mettre en colère, il est entré en trombe dans la classe et a appelé la police, en prétendant que son institutrice était devenue folle, qu'elle voulait le frapper, etc.
J'ignore si cet événement s'est produit avant ou après que ma mère m'ait ouvert le front en public...

J'étais une enfant "turbulente", indisciplinée. J'aurais voulu garder l'attention de maman pour moi, ou du moins qu'elle s'occupe de moi à l'école. Mais j'étais sa fille et elle craignait qu'on dise d'elle qu'elle faisait du favoritisme. Ainsi j'avais du m'élever toute seule, sans être cadrée, multipliant les gaffes. Il m'arrivait souvent de couper la parole aux autres dans mon désir d'être reconnue. Y compris à l'instit.
Dans ces temps là, maman allait mal, elle piquait des colères et devenait agressive. Quand il arrivait que nous lui coupions la parole lors d'une leçon (il n'y avait pas que moi qui agissais de la sorte), il lui arrivait de jeter vers le coupable une craie, un chiffon, ce qu'elle avait dans la main.
Ce jour là elle avait le tampon effaceur du tableau à la main. Un bloc de bois avec une bande de feutre collée sur une de ses faces.
Je ne me souviens pas lui avoir coupée la parole.
Je ne me souviens pas de son lancé.
Je me souviens seulement du silence dans la classe, du regard des autres enfants sur moi, choqués.
Je me souviens que je ne me suis pas rendue compte que je saignais avant que les autres enfants ne me le disent et que je porte mes doigts à mon front, pour les découvrir rouges de sang.
Je me souviens très bien de ma mère appelant notre femme de ménage pour qu'elle vienne me chercher et m'emmène chez le médecin: maman ne pouvait pas, elle avait la responsabilité de sa classe...
Je me souviens aussi des vêtements qu'elle m'a acheté ensuite, "pour se faire pardonner".

Ce jour là, ça aurait pu être un autre élève qui lui aurait coupée la parole.
Alors, sans aucun doute possible, il y aurait eu plainte, à la police, au rectorat... coups et blessures sur un mineur de moins de 11 ans, pensez donc! Au rectorat, il y aurait eu procédure disciplinaire, sans doute aussi.

Mais là non. Personne n'a fait trop de vagues. La femme de ménage de mes parents, le médecin qui m'a soignée, les autres parents d'élèves, mon père, ils n'ont rien dit, rien fait.

Avant, après, je ne sais pas... durant ces trois années, une fois, maman m'a humiliée publiquement. Pendant une récrée, je suppose, ce n'est plus très net dans ma mémoire. Je devais l'avoir provoquée je suppose. Elle m'a donnée la fessée en public. Fesses nues.
Sans doute pas plus de quelques claques.
Mais une humiliation publique honteuse.

J'étais isolée des autres de par mon statut de fille de l'instit (dont ne pâtissait pas ma sœur aînée...). J'étais leur souffre douleur. Et malheureusement j'étais aussi celui de ma mère, par des voies plus détournées... car elle savait, consciemment ou non, qu'elle ne pouvait pas laisser sa colère s'exprimer avec les autres enfants. Avec moi, si. Moi elle pouvait me donner la fessée ou me garder en punition après les cours... mes parents ne se plaindraient pas.

Au bout d'un moment, elle ne nous remmenait même plus à la maison à la fin des cours: elle "rangeait" sa classe pendant des heures, jusqu'à 19h, voire plus tard encore. Tous les jours elle rangeait, et je n'ai jamais su ce que ça voulait dire, ce qu'était ce rangement qui mangeait mes heures de loisirs.
Je passais tout mon temps dans cette école de malheur. J'étais de plus en plus solitaire et supportais de moins en moins les autres, me sentant parfaitement rejetée. Mes anniversaires étaient des catastrophes alors que ceux de ma sœur, de deux ans et un mois mon aînée, étaient de vraies fêtes.

Je commençais à devenir une petite fille triste. Les photos de cette époque révèlent parfois une enfant au regard mélancolique.

À notre arrivée, l'école comptait 17 élèves. La seconde année ils n'étaient plus que 14. La dernière nous étions 9. Ensuite l'école a fermé faute d'inscrits.

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