dimanche 12 décembre 2010

Petite enfance.

Pour pouvoir parler de ma vie au jour le jour, en avant vers un futur apaisé, il faut d'abord que j'évoque mon passé, mon histoire. Mais je tiens à être très claire : le récit que je vais en faire est très parcellaire et éminemment subjectif. Il s'agit ici d'évoquer les éléments majeurs de ma construction individuelle, et non de retranscrire fidèlement des événements.

J'ai grandi
dans le nord de la Charente, dans un petit patelin de 150 habitants, perché sur le bord d'un plateau calcaire, au bord du fleuve donnant son nom au département. À peine quelques voisins: une petite famille, de l'autre coté de la rue, avec deux filles, et deux couples de personnes âgées un peu plus loin. Autour, la campagne, le bétail, les prés.

Mon enfance tourne autour de l'école. Et pour cause: maman était institutrice.

Je suis née en juin 1982, le lendemain du jour de l'été et de la première fête de la musique.
J'ai une sœur aînée de 2 ans, née en mai le jour de la Saint-Yves.

Nos parents se sont connus aux sports d'hiver, dans une auberge de jeunesse. Ils se sont mariés sans cérémonie, sans alliances, en jean avec leurs seuls parents et témoins. Ma mère a quitté la région parisienne où elle avait grandit et vécu. Ils ont habité quelques temps en appartement à Angoulême, le temps de rénover une propriété héritée par mon père. Le temps que j'arrive et elle était habitable.
J'ai connues mes premières années dans une maison en perpétuel chantier, avec ses murs de placo-plâtre à peine peints de blanc. Au fil des ans les opérations se sont concentrées sur l'indispensable, c'est à dire l'isolation, les travaux électriques, la sécurité. Les rangements aussi. L'aspect décoratif n'est intervenu que vers mon adolescence.

...
Mon premier souvenir clair et net dans ma mémoire remonte à ma petite enfance. J'avais deux ans, peut être deux ans et demi. Je dormais et je me suis éveillée seule et abandonnée. J'ai appelée maman, mais elle n'est pas venue. J'ai hurlé, hurlé, mais ce n'est pas maman qui est venue, mais Marthe, une voisine. Dans mon esprit enfantin, j'ai cru qu'elle était venue de dehors, que j'étais vraiment abandonnée, que maman était partie loin loin...
Maman était allée à la Poste et m'avais confiée à la surveillance de la voisine.

Maman était encore en congé parental à l'époque. Ma sœur était sans doute à l'école maternelle et mon père au travail.

Maman m'a allaitée jusqu'à l'âge de 24 mois environ. Par tendresse maternelle mais surtout par conviction militante. Elle avait raté son allaitement avec ma sœur aînée, empêchée par les médecins, commencé celui-ci après deux semaines, réussi à le maintenir quelques temps, puis avait arrêté, par manque d'information et de soutien. Le mien, elle y tenait.
Ainsi avons nous vécu deux ans au rythme des tétées, l'une fondue dans l'autre, blottie dans sa chaleur et sa protection. Mais peu à peu, elle s'est détachée de moi.

Mes souvenirs sont imprécis en la matière.
Je me souviens vaguement de son départ pour l'école tôt le matin parce que c'était loin.
Et puis de mon entrée en très petite section, à l'école maternelle.
Jamais je n'ai connue la crèche ou la nounou.

Mon souvenir est à la fois vague et vif de maman occupée à préparer des affiches et des documents, consacrant son temps et son attention à des papiers sur son bureau, ou a son ordinateur (j'ai connus les premiers "computers", du TO7 au TO13, les imprimantes à aiguille...), ou encore occupée à tourner la manivelle d'une machine à polycopiés.
Elle me délaissait tout en me gardant près d'elle. Je préférais la regarder plutôt que de jouer, préférant m'inventer des histoires dans la tête que d'aller essayer de jouer avec les petites voisines, que je trouvais méchantes (surtout la grande).

Maman a toujours été une militante. Militante pour l'allaitement maternel, pour l'espéranto, pour la pédagogie Freinet, pour Atac, pour l'écologie... Sa vie, d'aussi loin que je me souvienne, a toujours tourné autour de ça.
Quand elle tournait la manivelle de son duplicateur à alcool, c'était pour ces activités là. Je sens encore cette odeur toute particulière, mélange d'encre et d'alcool, avec un fond de papier mouillé, je vois les feuilles de papier couleur défiler entre les rouleaux, jusqu'à ce que les tirages soient illisibles. Maman à genoux sur la moquette, toute à son occupation... Et les piles de tracts jamais utilisés, rangés sous le lit de la chambre d'amis, des années après ça.

Je n'étais pas malheureuse, mais j'aurais voulu qu'elle s'occupe de moi, qu'elle fasse attention à moi.
De temps en temps, elle y consacrait du temps, et puis elle m'oubliait et repartait à ses occupations. Alors j'allais voir papa qui bricolait dans la maison ou jardinait, pendant le week end.

À la maternelle, j'aurais voulu être avec ma sœur, mais elle faisait partie des "grands". Mes activités ne coïncidaient pas avec les siennes.
Les autres enfants me faisaient peur, je les trouvais méchants. Je n'en connaissais qu'un ou deux, et après avoir tenté d'un approcher un ou deux autres, je m'étais renfrognée dans l'idée que j'étais mieux seule que mal accompagnée.
Je faisais œuvre de séduction auprès de l'institutrice, à qui je collais aux basques, à qui j'allais chercher des ciseaux, ou ceci ou cela. Je l'aidais à détacher les bordures des documents imprimés sur papier continu (les vieilles imprimantes à aiguille fonctionnaient avec du papier en accordéon, entraîné par des roues à picots qui s'inséraient dans des bandes perforées prédécoupées le long des feuilles). Avec les chutes, elle nous apprenait à faire des guirlandes en accordéon.

Les autres enfants ne m'intéressaient pas. Seule ma sœur avait grâce à mes yeux, ainsi que ses amis de son âge. J'avais aussi une soif d'apprendre immense et je "trichais" régulièrement lors des séances de collage ou de jeux de construction, en tentant de suivre les cours de lecture des élèves de moyenne section. Je m'en dévissais la tête et l'auxiliaire d'éducation y attribuait mes fréquents maux de ventre et de tête.

De cette époque je garde aussi des souvenirs épouvantables de la cantine. Pour y aller il nous fallait traverser cette zone épouvantable à mes yeux qu'était la cour de récréation déserte des "grands" de l'école primaire. Je n'aimais pas cette traversée que je jugeais dangereuse, sentiment renforcé par le fait qu'on nous la fasse traverser avant que les grands soient sortis de classe, puis avant que ceux-ci aient rejoint la cours après le déjeuner.
Par ailleurs comme dans de nombreuses cantines, les méthodes pour faire manger les enfants n'étaient guère sophistiquées: quand on ne voulait pas de quelque chose, on nous forçait à gouter une bouchée, puis on nous affirmait qu'ayant déjà mangé une bouchée, on pouvait manger le reste. J'ai ainsi passés des repas épouvantables devant des saucisses purée, n'ayant pas le droit de manger la purée avant d'avoir mangée une demi saucisse. J'ai fini par vomir devant tout le monde, un jour.
J'ai eu de la fièvre ce même jour et ai été isolée des autres enfants le temps que maman, qui travaillait, puisse venir me chercher. Quand j'ai eu faim on a refusé de me donner à manger, parce que j'avais vomi.

Pour finir avec cette époque, je me souviens que maman n'avait jamais le temps de nous emmener à l'école, à un kilomètre de la maison: elle travaillait à 20 minutes de route et devait être en avance à son école pour ses élèves. Papa partait souvent vers 7h du matin et ne pouvait pas non plus s'acquitter de cette tâche. Nous étions trop petites pour prendre le bus seules, aussi était-ce la plupart du temps une voisine qui nous emmenaient à l'école. Mais parfois elle ne pouvait pas, ou bien ses filles étaient menées à l'école par leur grand-mère, qui ne nous emmenaient pas, nous. Alors maman nous déposaient à l'école, très tôt le matin. Et souvent nous nous retrouvions seules dans la cours de l'école, parfois de nuit en hiver. Une fois même, maman nous avait déposées si tôt que les grilles n'étaient même pas encore ouvertes.
Parfois la chose se reproduisait le soir: elle devait venir nous chercher mais nous devions attendre tard, avec quelques autres enfants. Une ou deux fois, l'attente a duré vraiment longtemps, soit qu'elle nous ait oublié, ce qui est tout à fait vraisemblable, soit qu'elle n'ait pas vu le temps passer, occupée à une course sur le chemin de l'école...

Je me sentais de plus en plus négligée, sans importance aucune à ses yeux, après avoir été si proche d'elle auparavant.

Aussi ça a été une joie pour moi, lorsque nous avons appris à l'aube de mon entrée en CP qu'elle avait obtenu un poste à une quinzaine de kilomètres de chez nous, et qu'elles nous prendraient toutes les deux, moi et ma sœur, dans sa classe à la prochaine rentrée.


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