lundi 12 mai 2014

Respect et colère... Être ou paraître... quelques sources de quiproquos.

Mon mari, Alain, est malade. Une fichue saloperie de maladie neurodégénérative, rare et incurable.
Je m'occupe de lui, de nous, de notre vie, comme je le faisais "avant". Un peu plus, peu à peu. Je vois mon homme malade, je vois mon homme changer, je vois mon homme souffrir, rempli de la conscience de son état. Nous sommes loin de la famille, la mienne, la sienne, les amis. Donc les autres, globalement, ne voient pas la maladie évoluer. Et je ne peux m'empêcher de penser craindre, qu'ils sous-estiment les choses.

Il faut dire que quand nous avons de la visite, Alain a envie de se montrer sous son meilleur jour, combatif. Il a envie de rassurer les autres, et je le comprend. Mais entre le quotidien et ces jours exceptionnels, il se creuse parfois un fossé qui, finalement, me semble couper nos proches de la réalité des choses. Le paraître prend le dessus, source de quiproquos.

Ces derniers mois, j'ai été très mal. J'étais en colère, je refusais, je ne savais pas comment réagir à certaines situations. J'ai appelé au secours et, heureusement, j'ai reçu du soutien. De ma famille et de ma belle famille. Mais je n'appelais que ceux que j'estimais que ma détresse ne bouleverseraient pas trop. Or de question d'ajouter de la souffrance à la souffrance. Donc je n'ai pas appelés les fils de mon mari. Je les ai laissés dans l'illusion du "paraître", celui du téléphone, celui des visites. Mais ainsi nous avons tous entretenues des idées, des visions fausses, tronquées.

L'évolution de la maladie d'Alain, je n'en parlerais pas ici. C'est privé. Juste, je parlerais des événements des dernières 48 heures, téléphoniques et intérieurs.

En fait il faut remonter un peu plus loin pour comprendre...

À l'automne, le fils d'Alain qui vit en Guadeloupe est venu.
Attristé par le fait que son père ne sorte plus, il a insisté pour faire des choses, et je pense que c'était bien. Depuis, nous sortons régulièrement. Mais son père, pour le rassurer, l'arracher à la déprime, a été un peu au delà de ses limites. Alain a accepté de sortir presque tous les jours, malgré la fatigue. Mais il voulait tellement faire du bien à son fils! Pourtant ça l'a épuisé, mais il n'en a rien dit, sauf à moi. Beaucoup de choses faites, de barrières franchies grâce à ce fils, mais pas assez de temps passé vraiment entre père et fils. Au départ de son enfant, Alain a souffert de l'absence. Rien n'aurait pu lutter contre ça.
Est-ce qu'il lui a dit au téléphone? Je ne sais pas.
Ils sont un peu "taiseux", dans la famille.

Pour moi, se dire qu'on s'aime, que les gens nous manquent, c'est important. Leur dire les choses, comme "je me montre agressive sur tel ou tel sujet, parce que je sens de la colère ou de l'agressivité quand tu en parle", c'est important aussi. De dire "je préfèrerais qu'on évite ce sujet, parce que ça me fait du mal, mais je t'aime et ça ne change rien entre nous", c'est important aussi. Je l'ai fais avec ma mère.
Communiquer, s'écouter, se comprendre, ça n'a pas de prix.

Mais revenons à nos moutons.

Au mois de mai, les jours impairs du calendrier sont de "bons jours" pour Alain: il se sent relativement bien, a souvent envie de faire des choses, de sortir; il se sent plus à l'aise au téléphone; il est moins sensible à la contrariété.
Les jours pairs, à l'inverse, sont des "mauvais jours": il est plus fatigué, a davantage de douleurs et est plus sensible aux contrariétés, même "minimes". D'ailleurs je suis souvent angoissée ces jours là, parce que je ne sais pas toujours ce qui est susceptible de le contrarier. Une chose est sûre: parler au téléphone ces jours là, c'est une contrariété. Toute contrariété est susceptible de provoquer une crise d'angoisse. Et les crises d'angoisse sont compliquées à désamorcer, parce que c'est l'irrationnel, la peur, et donc l'agressivité, qui prennent le dessus.

Mardi 6 mai nous avons vu le médecin généraliste, qui a prescrit un nouveau médicament et j'ai fais la gaffe d'en donner à Alain.
Alain est hypersensible à de nombreuses molécules. Un simple sirop contre la toux peut produire des effets somnifères et amnésiques chez lui. Alors mieux vaudrait être prudent avec toute la pharmacopée. Mais je le voyais en souffrance, tout son visage, son être entier, montraient qu'il avait mal. Je lui ai donné le fameux médicament... S'en sont suivis plusieurs jours de malaise (étourdissements, fatigue intellectuelle et physique, nausées...).

Samedi 10 mai, Alain se remettait de la "saloperie", mais c'était un "mauvais jour". Il a reçus deux coups de téléphone ce jour là, de gens qui l'aiment et qui ne pouvaient imaginer une seule seconde que ça pourrait produire un raz-de-marée de contrariété et donc de souffrance psychique.
Personne ne peut l'imaginer. Même moi, je n'y suis pas complètement "faite", et quelque part, j'espère que je ne le serais pas, que je ne deviendrais pas "blasée". Mais quand même, il faudra que je m'habitue, parce que la souffrance d'Alain me jette dans le raz-de-marée avec lui. Le courant m'emporte et la colère me submerge sans que je parvienne à me raisonner.
Samedi, je suis aller marcher, un coup de téléphone est arrivé pendant que j'étais absente et j'ai retrouvé mon homme tout retourné. De ce qu'il m'a dis, j'ai quasi aussitôt tirées des conclusions hâtives et je me suis emportée.
♦♦♦

J'en avais marre!
Marre des gens qui ne comprennent pas la souffrance d'Alain!
Marre marre marre!
Marre de ceux qui téléphonent les mauvais jours, sans imaginer l'effet que ça peut lui faire!
Marre!

Je hurlais dans ma tête... Je hurlais de douleur, et les idées se télescopaient, me brutalisaient
Je me disais, mon homme, il a tellement mal dans son corps, mal à sa main, à son bras, sa jambe, sa cheville. Il a mal à sa nuque aussi, et il a mal à sa bouche quand il parle, mais aussi mal à ses poumons, il a mal partout, partout dans le corps, dans le cœur de lui même,dans l'âme. Parler ces jours là, les "mauvais" jours, que ça parte de la tête ou pas, c'est épuisant. Peu importe si c'est de la pensée magique, pour lui cette alternance est réelle. Toute souffrance est réelle et personne n'a le droit d'en contester la réalité et l'impact.
Les "mauvais jours", toute contrariété coupe le souffle à Alain, lui décuple sa douleur, le fait mourir un peu plus vite. Et je me disais que les gens, les autres, ceux qui ne sont pas là, ne se rendent pas compte, ne comprennent pas, ne peuvent pas comprendre.

J'étais en colère contre les uns et les autres. Contre ceux qui essayent de dédramatiser en disant "ça va aller mieux", pour se rassurer, eux aussi. Contre ceux qui ont peur devant la détresse d'Alain et lui conseillent de "se reprendre".
Je hurlais de colère et de détresse, je voulais les bouffer, ces négationnistes de la souffrance, de la réalité du désir d'en finir de mon mari, de mon Amour. J'en avais marre de ce que je percevais comme du déni, j'étais hors de moi, hors de ma contenance, hors du bon sens même. Je voyais l'angoisse d'Alain et j'étais bouleversée.
 
Être dans cet état ne me réussit pas. Souvent je démarre au quart de tour et j'écris des choses que je regrette profondément, après.

Mais samedi, je ne pensais qu'à Alain.
Au fait qu'il tend à éviter au maximum la venue de qui que ce soit parce qu'il se sent tellement diminué qu'il ressent probablement un fort sentiment d'humiliation d'être vu ainsi. Samedi, je pensais à tout ça, je le regardais et imprimais sur lui mon anxiété d'exposition, lui donnais des motifs. Peur du regard des autres sur soi. Anxiété de performance, peur du jugement éventuel, et j'avais mal pour lui, j'avais peur pour lui.
J'avais peur pour les autres, aussi. peur qu'ils souffrent.

J'étais dans la tempête et j'étais en colère, persuadée qu'eux, les autres, la famille, les amis, tous, sauf un ou deux, étaient dans le déni. J'étais furieuse et irrationnelle. Je jugeais et, quelque part, j'avais de la méchanceté en moi. J'estimais que les autres ne comprenaient pas, mais que moi si. Et j'étais triste parce que j'avais peur que les autres souffrent, à se tenir éloignés de la vérité. Alors...

J'en avais marre, marre des gens qui ne veulent pas comprendre que, quand on sait qu'on va mourir, on a envie de sentir que nos proches sont là, vraiment , qu'ils nous voient, sont attentifs, nous aiment, veulent qu'on le sache. Qu'ils savent qu'on est toujours là, une personne, pas un enfant ou un débile, pas un incapable ou une coquille vide, et encore moins la personne qu'ils voudraient qu'on soit. Quand on sait qu'on va mourir, on aimerait que les tracas restent de coté et qu'on se comprenne les uns les autres...

Et pourtant je ne comprenais pas.
Il n'y a pas de vérité en amour ni en souffrance. Chacun gère comme il peut ce qu'il a dans son cœur. Moi, par exemple, je gère assez mal, et j'en souffre beaucoup. J'ai besoin du soutien permanent de mes parents, de ma sœur et parfois d'une de mes belles-sœurs, pour tenir. Par mails, SMS, téléphone.

Samedi, toujours, je me disais et écrivais qu'il y a un moment où il faut laisser le déni à sa place et accepter l'inéluctable.
Certes.
Pas pour aujourd'hui ou pour demain, accepter qu'il n'y a pas de compte à rebours, mais que maintenant, il faut être prêt. Comme si c'était pour demain, pour bientôt. Accepter la mort prochaine de celui ou celle qu'on aime, c'est aussi lui épargner des tourments, lui apporter de la paix intérieure. C'est se donner les moyens de faire du temps qui reste un cadeau, une belle chose, un partage. C'est accepter de montrer à la personne qu'on aime tout ce qu'elle représente pour nous, lui donner tout ce qu'on peut et arrêter de lui demander de faire ou d'être ce qu'on aimerait, arrêter d'essayer de lui proposer ou de lui imposer ce qu'on penserait être le mieux pour elle.

Accepter la personne et apaiser ses angoisses.
Non pas approuver tout sans discuter. Au contraire, communiquer sereinement, partager, donner à voir qu'elle existe encore.

Sinon on perd cette personne, bien avant qu'elle soit partie. Parce qu'on a pas su la respecter. Parce qu'en voulant la "sauver", on l'a niée, infantilisée, on a pas respectés ses choix. La personne qu'on va perdre n'a pas choisi de tomber malade, de souffrir "comme jamais on aurait pensé pouvoir souffrir". La personne ne cherche pas à nous faire du mal. Elle a besoin de savoir que nous l'aimons et respectons ses besoins et ses choix, quels qu'ils soient.

Alain a besoin de tout ça, et je le lui donne, je le partage avec lui.
Mais samedi j'ai oublié que tout le monde a droit à ça. Tout le monde sans exception. Lui, moi, mes parents, sa famille, ses fils. Respect et écoute.

Alors finalement... marre... marre d'être moi, de me laisser emporter, de ne pas savoir appliquer à moi même mes préceptes d'écoute et de tolérance, de respect mutuel, d'égalité.
Et honte.


samedi 3 mai 2014

Peur sur la ville

Rassurez vous, je ne vous tourne pas un film de série B. ^^

J'ai écris dans mon précédent billet que nous voulions retourner vivre en Charente. Bon, je dois l'avouer, c'est surtout moi qui ai ce souhait. Je crois que pour mon mari, l'essentiel sera tout simplement de quitter la maison que nous habitons actuellement, achetée à une époque où les montagnes des Pyrénées étaient luisantes de promesses. Randonnées, grand air, balades.
Avant la maladie.

Moi, j'ai besoin de retourner près des miens, de ma famille, des lieux que j'ai connus et que veux connaître à nouveau,  m'adapter aux changements dans un décor rassurant.

J'ai besoin que ce soit Angoulême. Mais pas le centre ville.
Il n'y a pas la vraie vie là bas. 
On croise les gens, les commerçants, mais on ne se connaît pas. Les gens qui habitent en centre ville, ou "sur le plateau", ils ne connaissent pas leurs voisins, ils n'ont pas la vie de quartier à laquelle j'aspire.
Et puis je suis toujours en grande difficulté vis à vis des "commerces de proximité". À quoi bon vivre en centre ville si c'est pour s'en trouver prisonnière?
Je me connais : soit je ne sortirais pas du tout, ou très peu, soit je fuirais vers l'extérieur, vers les zones commerciales dépersonnalisées, uniformisées, vides du regard des autres, dans lesquelles je pourrais facilement me noyer dans l'indifférence générale..

Je ne veux pas plus de la périphérie, du "Grand Angoulême", un peu comme ici. Pas loin de la ville. Mais déjà loin. Une maison. Deux ou trois voisins à qui on dit bonjour. Le pain qu'on peut aller chercher à pied de temps en temps, quelques courses à Intermarché, mais la bagnole tout le reste du temps, vu que les bus ne viennent pas jusqu'ici.

Le bas du plateau, quand j'y pense, ça me donne le vertige à l'envers.
Le centre ville d'Angoulême trône en effet dignement sur un plateau rocheux, surplombant la plaine, à l'ouest, où s'écoule le fleuve vers l'océan. C'est comme si j'y étais écrasée, toute petite. Habiter en bas du plateau, c'est peut être disparaître, un peu. Je ne dois pas etre assez humble. Et puis c'est des endroits que je n'ai jamais "fréquenté", par le passé, alors en toute logique, j'ai peur.

Mais il y a quand même des appartements très bien par là bas. Pourquoi pas,  après tout? On pourraient être heureux là bas, vers Sillac.

Si ce n'est mon obsession pour Ma Campagne, son Intermarché, ses chemins de promenade, sa MJC, son labo d’analyses, ses infirmiers, ses médecins, ses kinés...

Oui, parce que, à Angoulême,  il y a le parfait endroit pour moi.
C'est un quartier.
On est pas en centre ville,  mais "intramuros" quand même.
Il y a les bus et cette super MJC de avec plein d'activités qui me font tripper un max.
En voiture, on est à même pas 5 minutes du centre ville. Arrivée direct dans un parking souterrain, avec ascenseur aux normes d'accessibilité, galerie commerciale, artère piétonne. Tout est à portée.

Le quartier de Ma Campagne est desservi par plusieurs grandes artères qui permettent d'aller facilement partout (au nord par le tunnel, au sud vers chez ma soeur, à l'ouest et à l'est par la D1000 qui contourne l'agglomération.

Mais surtout ce que j'aime à Ma Campagne, c'est une sorte d'esprit "ordinaire". Je veux être , croiser nos voisins dans les escaliers, les jeunes, les vieux, les sympas et les pas sympas, demander des nouvelles, aider à porter un truc. Jamais me cacher. Pas cacher que je suis "bizarre", sans l'exposer à tout bout de champ non plus. M'intégrer, faire mon  nid, en haut d'un immeuble, couver le quartier comme si c'était moi même. L’œuf et la poule. Être au dessus de l’œuf et au chaud dans l'oeuf. Je sais, c'est un peu con, tout ça, hein?

Je vais sans doute être déçue, d'une manière où d'une autre... On pourra peut être pas acheter là bas. Mon rêve restera un rêve parce que je ne serais pas capable de me défaire de mes sales habitudes de fuite. Ou autre chose encore.
Mais tout le monde a le droit de rêver, non?

En tout cas, j'ai envie de vivre en appartement.  Je sais pas pourquoi. C'est comme ça, c'est rassurant. Et pas trop bas, en plus. Nid d'aigle.
Bref, je suis chiante.

Pas si peur sur la ville, en fait. Juste je veux pas être "en" ville, comme mangée,  engloutie, effacée

Mais peu importe tout ça.
Nous trouverons.
Là où nous choisirons d'habiter, nous serons bien.
Il le faudra.