dimanche 20 novembre 2016

Souvenirs "rémanents"

Dans de divers domaines sensoriels, j'ai des rémanences.
Une rémanence est la persistance d'un état après la disparition de sa cause.
Au niveau de la vue ou de l'ouïe, ce sont des classiques pour moi.
Parfois ça se manifeste au niveau des autres sens, comme l'odorat ou le toucher.

Parfois c'est agréable, d'autres fois, c'est très douloureux.

Les souvenirs rémanents sont une chose complexe à gérer.
C'est comme revivre un événement d'un instant "t" dans une période "x".

Parfois l'expérience est agréable, comme manger un très bon gâteau, sentir son odeur, sa texture en bouche, son gout... D'autres fois, c'est traumatisant.

La résurgence d'émotions dans des conditions données peut être très douloureuse, parce que justement ma mémoire (qui me semble parfois pourtant défaillante) retient le moindre détail de certaines situations. Généralement les situations extrêmes de bonheur-plaisir ou de douleur-souffrance.

Ce soir je marchais sur le "Chemin des falaises" (rien de bien dangereux, par ici).
Je me sentais bien, je retrouvais un paysage familier qui me rappelait mon enfance.
Et puis il s'est mit à tomber une pluie fine et piquante... et les choses ont basculé.

J'avais 34 ans et j'en avais 13.
Je marchais dans la lande du chemin des carrières et je marchais aussi à Paris.

Voyage scolaire.

J'allais bien plus mal que je ne le laissais paraître, à l'époque.
Je m’efforçais de ne rien laisser voir, à personne, sauf quand ça devenait insoutenable.
Dans ces cas là, j'explosais.

L'attentat de la station Saint-Michel était tout récent, et notre classe circulait à pieds dans Paris.

Dans le froid humide et venteux de cet hiver là, sous le crachin, je suivais le troupeau de ma classe, avec une sorte de mépris pour mes condisciples de notre classe "sciences et arts", qui faisaient la moue devant les activités proposées aux scolaires par la Cité des Sciences de la Vilette (que je connaissais bien, moi, pour fréquenter les lieux régulièrement avec mes parents) et qui critiquaient sans vergogne les œuvres de Picasso ou autres artistes...

Dans le crachin permanent qui nous fouettait le visage, je regardais mes pieds, mes lunettes enfoncées sur les yeux, mon bonnet noir tombant sur la moitié des verres, permettant de cacher mes yeux rougis par le malaise profond que j'éprouvais alors. Un mélange de haine de moi et des autres, de colère, de rancune contre ceux qui ne me voyaient pas (alors que je me cachais sans cesse d'eux)... bref, un bonnet noir qui dissimulait mes yeux toujours humides de cette forme si nocive de désespoir qu'est celui de se sentir si différente, sans en comprendre la raison.

Chaque fois que nous passions sur un pont, je louchais vers la Seine. Je savais que dans l'eau froide du fleuve, mes vêtements se gorgeraient rapidement d'eau, que je coulerais... que l'eau froide m'engourdirait, m'endormirait, et que ça aurait pu être fini une fois pour toute.

J'avais si mal.
Je me sentais si "anormale", à tellement de points de vue...

Mais aussi mal que je me sois sentie, quelle qu'ait été ma douleur mentale de me sentir si différente sans en comprendre la raison... chaque fois que j'imaginais mettre fin à mon calvaire intérieur, je pensais avec un désespoir encore plus grand à la peine que je provoquerais immanquablement chez ma sœur si je venais à me tuer.
L'idée de la déchirure que je risquais de créer en elle m'étouffait, me faisait suffoquer, et je m'interdisais de bondir par dessus le parapet et de me jeter à l'eau.

Je pensais à tout ça, à chaque pont, et je pleurais en évitant de cligner des yeux, pour faire sécher mes larmes dans le vent, avant qu'elles ne coulent et me trahissent.
...

C'était il y a longtemps, mais les souvenirs rémanents ont pour moi cette particularité de ressembler à s'y méprendre à un vécu réel et instantané. Ce ne sont pas des hallucinations, je ne confond pas ce qui est et ce qui a été, mais c'est comme si j'avais soudain une connexion en direct avec ce qui s'est produit à un moment particulier.

Il y a parfois des éléments déclencheurs.
Ce soir je marchais seule dans un endroit que j'aime beaucoup...
Mais j'avais des lunettes de soleil sur les yeux (j'ai aujourd'hui 12/10èmes à chaque œil, les lunettes me "cachent" à présent de la luminosité et du vent), j'avais un bonnet noir sur les cheveux et le ciel s'est mit à m'asperger d'un petit crachin sans importance, dans le vent de novembre.
En outre je déteste les dimanches.
Il n'en a pas fallut davantage.

Je me suis prit une foule de souvenirs dans la tête, dans le corps, dans l'âme.
Un peu comme si une chose invisible, froide, cruelle et dure me traversait et me rouait de coups...
Un fantôme, un vestige du passé.

J'ai tournés les talons, comme si je pouvais fuir, mais mon désir de mourir, celui qui me tenait au tripes cet hiver là, à Paris, en voyage scolaire, le bonnet enfoncé sur les yeux au dessus de mes lunettes "de repos", celles qui cachaient mes larmes et ma détresse, il était enfoncé en moi comme un poinçon.

J'ai marché aussi vite que j'ai pu vers chez moi, en essayant de ne pas sombrer dans la crise d'angoisse, ou pire la crise de panique.

Mon téléphone annonçait l'arrivée de sms dans ma poche et je serrais les poings et les dents, rêvant d'arriver dans le hall de mon immeuble, de regarder le chronomètre du téléphone (ma montre est en panne) et d'oublier.

À dire vrai ça a été un peu plus compliqué que ça, mais ça va mieux, à présent.
J'ai marché 1h04 et j'aurais mieux fait de prendre ma cape de pluie.

J'aime ma sœur et j'aime toute ma famille, tous mes amis et j'aime aussi la VIE.💓💖

Et présentement, j'aime aussi les galettes de son d'avoine à la banane...😋