Assise sur un banc de bois humide des dernières pluies nocturnes, je me sens vide. Il n'y a rien en moi. Ou bien il y a trop. Trop de mots, d'idées, de souvenirs et de questions qui se heurtent, qui flottent au gré de mon vague à l'âme, sans rien pour les diriger, les ancrer dans ma réalité. Ils s'agrègent entre eux faute de pouvoir trouver un rivage favorable.
Autour de moi, devant moi, les gens passent, simples promeneurs, joggers solitaires ou en groupe, eux aussi agrégés par une activité sportive commune, une foi dans leurs ambitions de compétition, dans leur remise en forme ou que sais-je...
En quoi ai-je foi?
En moi-même, étrangement, malgré ce vide étourdissant qui me submerge au quotidien. En l'avenir, avec la certitude qu'il existera toujours, dans la permanence des temps, même si je n'ai plus perception de celle-ci...
Je suis sortie de chez-moi pour échapper à mon immobilisme et me voilà à nouveau assise, simplement ailleurs.
Les nuages ont recouvert le ciel et ses horizons d'une chape grisâtre qui m'éblouit bien davantage qu'un ciel bleu. Je baisse les yeux, le menton, les épaules. Tout en moi s'affaisse et se crispe. Mes cils retiennent les larmes qui menacent de franchir la limite des paupières. Des ébauches de sanglots me serrent la gorge, peut-être un peu plus que d'ordinaire.
Dans mon dos, au loin vers le nord, ou à l'ouest, peut-être, je perçois les cloches d'une église, là où la messe sera dite ce jour. En réponse à cette clameur de fonte, les pies donnent de la voix à leur tour dans le bosquet situé un peu en aval des remparts où je suis bloquée par mes mots qui se déversent. Une corneille croasse, loin, ailleurs.
Les pas des piétons qui passent font crisser le gravier alentours. Des corps dont je perçois les mouvements sans pouvoir relever mon regard assez haut pour distinguer des traits.
Ma faim commence d'émerger. J'ai acheté du saumon, de la julienne de légumes, de l'ananas. Je vais essayer de me faire un repas structuré, assise à une table. Tout à l'heure, quand je rentrerai. Quand j'aurai quitté le banc, les bruits de la ville, tout autour.
Il faudra bien qu'à un moment j'arrive à me dénuder, prendre la douche que je repousse depuis des jours, faute de trouver l'énergie pour m'abandonner au flux de l'eau chaude avant de m'arracher à son cocon apaisant. La fin de la douche est redoutable. Lever de jambe pour sortir de la baignoire. Essuyage. Moiteur. Lorsque je me lave ou ne serait ce que, lorsque je me mouille la tête, séchage. Je n'envisage pas de me couper les cheveux. Jamais. Mais tout ça me coûte cher en énergie. Quand j'en manque, la seule éventualité de devoir consacrer du temps et des efforts à en éliminer l'humidité m'épuise avant même de passer la porte de la salle de bain.
Ce vide qui encombre mon quotidien cherche l'épure, l'économie, le "rien". Pourtant je redoute tout ça. Comment vivre vraiment dans l'absence de tout? L'absence d'efforts, l'absence de vie.
Je l'ai déjà écris, je ne fais que survivre, quand la dépression m'entraîne dans ses flots et me ballote au gré des vagues.
J'essaie de reprendre pied, comme je peux, où je peux. Je m'accroche à ce qui passe, en espérant que ça tiendra, que je ne vais pas être encore plus perdue. J'essaie. Ou pas. Je me tourne, étend bras et jambes, m'abandonne au flux, me laisse charrier par le mouvement, impuissante. À quoi bon lutter lorsqu'il n'y a pas de terre à l'horizon ?
La métaphore est faussée et fallacieuse, bien sûr.
Je ne suis pas seule au milieu des flots de mes pensées. J'ai des (rares) amis, de la famille, des thérapeutes.
J'écris sans réfléchir à mes mots.
Je suis ressortie après avoir fait mes courses, parce que me renfermer dans mon T2 m'étais insupportable. Je suis allée me garer rempart de l'Est, ai remonté à pied le boulevard Émile Roux et puis ce banc, à peine le Conseil Départemental dépassé.
J'aurais de l'énergie physique pour marcher encore. Un peu. Mais le moral est résolument en berne et tout ce que je parviens à faire, c'est écrire, du bout du doigt, en ligne.
Déverser des mots comme si je pouvais échapper à moi même, de cette manière.
J'ai essayé de comprendre pourquoi tout ça revient, tout ça m'envahit. Mais il n'y a pas d'explication, pas de réponse miracle, pas d'illumination qui pourrait transfigurer mon état dépressif vers un épanouissement subit.
Il faut que je fasse des efforts, que j'aille de l'avant, que je réenclenche les mécanismes positifs. Il je suffit pas de prendre l'air une fois, un dimanche matin, pour que mon cerveau comprenne que la donne a changé. Il va falloir tenir bon, réapprendre à sortir, marcher, profiter, respirer, écouter, sentir, me remplir de ce "tout", collection de petits "pas grand chose", qui viendront peu à peu à bout du vide.
Je me suis fermée, je crois, ces derniers mois. Je n'ai plus laissé entrer les choses, les gens, les émotions, les stimuli.
J'ai fais venir, par Internet, les choses dont je pensais avoir besoin. Mais je ne suis pas allée vers les gens, le monde. Ou trop peu, par intermittence, par sursauts.
Je suis restée trop longtemps assise. Je vais aller faire un tour. Comme je peux.
Je me sens moins vide, et plus détendue.