jeudi 27 juillet 2023

Décalage humain

Voilà déjà quelques mois que je me sens couler.

Je ne sais pas trop si je suis davantage anxieuse que d'habitude.

Par contre je suis indéniablement déprimée et j'ai d'immenses difficultés à accomplir les tâches quotidiennes (entretenir mon intérieur, prendre soin de moi, faire de l'exercice, préparer mes repas...).

Pourtant voici à peu près un an je me sentais à nouveau assez efficiente pour reprendre un parcours d'accès à l'emploi. Que s'est-il passé au juste entre temps? Plein de choses, bien sûr. Mais qu'est-ce qui m'a fait dévier à ce point du rétablissement?

Je ne saurais pas le dire exactement, mais je crois que j'ai été confrontée au fonctionnement des autres et que je me suis sentie de plus en plus en décalage, un sentiment ancien et bien connu, qui n'a fait que regagner en puissance au fil des mois.
Peu à peu ma sensation d'être une minable, dans mes interactions avec les autres, dans mon fonctionnement personnel et dans la vie en général est devenu tellement envahissant qu'il laisse peu de place au reste de mon existence.

Je me suis toujours sentie différente. J'avais l'impression de ne pas être à ma place, d'être trop différente des membres de ma famille, des autres enfants à l'école, des autres individus. J'en ai toujours souffert, tout en estimant que je n'avais pas vraiment envie d'être comme mes "pairs" (classe d'âge équivalent, côtoyée au quotidien). Je veux dire en cela que je ne partageais tellement pas leurs préoccupations que j'avais le sentiment (indistinct) que si j'avais été comme eux, j'aurais "perdu" quelque chose.

J'aime être telle que je suis.
Ce n'est franchement pas ça qui me met en souffrance. En tout cas pas mon monde intérieur, mes capacités intellectuelles, etc. Je suis souvent gênée pas mes hypersensibilités sensorielles, mais je m'y suis adaptée, globalement.
Par contre j'avoue que c'est dur d'évoluer dans une société normative.

Je m'aime telle que je suis mais je sens bien que je ne suis pas tout à fait "comme tout le monde" et du coup c'est compliqué à vivre, cette différence. Presque partout où je vais, j'ai du mal à m'intégrer socialement et c'est difficile à vivre. Beaucoup de gens me trouve trop speed, et trop "compliquée" à cerner (ce que je suis certainement, vu que même moi j'ai du mal à le faire).

J'ai fini par laisser tomber le GEM parce que j'avais le sentiment d'avoir des préoccupations trop différentes de la moyenne des adhérents. J'avais pourtant fais des efforts pour être "raccord", au début. Mais il y a un moment où ce type de vigilance devient épuisant. C'est en même temps très frustrant et dévalorisant, parce que je me sens en échec: je n'ai pas su m'adapter aux attentes et aux besoins des gens de l'association. Je me suis montrée trop sensible, trop compliquée, trop en questionnement...

Est-ce que je suis vraiment excessive dans ma façon de fonctionner, ou est-ce que c'est juste une question de curseur?
La norme, c'est juste le niveau où se concentrent les similitudes.
Je me situe en marge, dans un fonctionnement minoritaire, mais pas forcément pathologique en soit.
Je suis en décalage vis-à-vis de la norme, mais est-ce que c'est une mauvaise chose en soit?
C'est pas certain.
Par contre c'est pénible à vivre, assurément.
Surtout que je ne sais pas franchement faire autrement.

J'ai essayé. J'ai réussi à faire semblant. Sauf que c'est épuisant.
C'est ce que je ressens actuellement: de l'épuisement.

Je ne me sens pas franchement dans un état de bien-être complet physique, psychique et social. Or c'est la définition de la bonne santé, selon l'OMS. Globalement on considère que si un sentiment de mal-être apparaît, il y a pathologie. L’objectif visé est alors de rétablir la santé en supprimant le mal-être.

Bon déjà, j'avoue que question santé physique, c'est pas vraiment top, avec toutes sortes de névralgies diverses et variées et de troubles viscéraux pas très glop. J'ai aussi mal à l'estomac et je pressens que je suis en train de me fabriquer de nouveaux ulcères... Je me sens tendue en permanence, ce qui entraîne des contractures un peu partout, des mâchoires, des épaules, du dos, des jambes ou des pieds... Sans compter les insectes piqueurs de toutes sortes qui me considèrent comme un buffet à volonté. 

Psychiquement, je suis déprimée. Je dors mal et je tend à me sentir vide, incapable et minable.
Je ne me sens pas spécialement anxieuse ou angoissée, par contre.
Plutôt déçue ou en échec, mais je n'ai pas peur de choses ou d'autres.
Je me sens frustrée de ne pas réussir à accomplir les choses que je considère comme importantes.
Selon moi l'anxiété n'est donc pas vraiment le fond du problème.
En fait je me sens empêchée d'agir par des perceptions désagréables, dans certaines conditions.
Par exemple, des relations sociales que je ne me sens pas armée pour affronter vont sérieusement contrarier mes projets. Ou alors l'endroit où je dois aller s'avère bruyant, agité, avec des tas de stimuli chiants à subir, alors que les autres gens n'ont pas l'air de s'en rendre compte. Je suis l'extraterrestre de service.

Je suis misophone, ça n'a rien de nouveau.
J'ai toujours eu un seuil de tolérance assez bas au sons intenses, brusques ou répétitifs.
Les tic-tic d'une fermeture éclair quand je marche, le tic-tac de la pendule du salon, le bruit de la cuillère dans la tasse de quelqu'un qui remue son café, le claquement des placards et des portes qu'on ferme, les paroles fortes et sèches...
Tout ça, c'est une sorte d'enfer pour moi.
Alors oui, c'est stressant, et du coup je suis en effet anxieuse à l'idée d'y être confrontée, mais parce que c'est réellement désagréable, limite douloureux sensoriellement.

J'ai de toute façon depuis toujours une floppée d'hypersensibilités sensorielles qui me pourrissent la vie.
Il n'y a pas longtemps j'ai appris qu'on parlait de "troubles de l’intégration sensorielle".
Faut croire que je n'intègre pas aisément un environnement très coloré, en mouvement et bruyant.
Il semblerait que des thérapies existent, pour atténuer ces sensibilités, mais on ne m'en a jamais proposé.
Globalement il existe des tas de matières dont je ne supporte pas le contact. Je suis aussi obligée de scrupuleusement découdre les étiquettes de mes vêtements parce qu'elles sont insupportables. Je dois préciser que mes propres cheveux ou poils peuvent constituer un obstacle majeur à mon confort.
Je crois qu'on peut qualifier ça de sources de stress...
Est-ce que j'éprouve de l'anxiété par rapport à tout ça?
Pourquoi je le serais?! J'y suis habituée, depuis le temps que je me fréquente...

Bizarrement je suis en train de réaliser que je suis stressée par mon quotidien, mais que je ne suis pas tellement une personne anxieuse. Pour quelqu'un à qui on a diagnostiqué des troubles anxieux, c'est un peu bizarre, non?
En fait je ne m'en fais pas tellement pour tout ça.

Par contre, oui, j'avoue quand même que j'ai des soucis d'anxiété de performance (ouf! un trouble anxieux). Oui car voyez vous, la vie en société, ça s'apparente à une succession de performances sociales au cours desquelles j'essaie de ne pas être trop bizarre aux yeux des autres. Sauf que dès que je ne connais pas une situation, j'ai du mal à l'affronter (et encore, il y a des tas de situations similaires mais pas identiques, ce qui me complique l'adaptation).

Pour ce qui est de mon bien être social, j'ai de bonnes relations avec ma famille et mes voisins.
J'ai aussi quelques vrais amis et j'arrive à avoir des activités épanouissantes socialement. Mais j'aimerais en avoir quelques autres, sans réussir à réaliser ces envies, et surtout je voudrais travailler et je suis vraiment en détresse sur ce point. Or l'EPNAK vient de me dire (avec raison) que n'étant pas stabilisée ni rétablie, ils ne peuvent pas m'accompagner vers l'emploi.

Pistes préconisées: le CMP, le SAMSAH et le CREHAB'16.
Merveilleux.
J'en rêvais sans jamais oser le demander.
Sérieusement.
Je pensais que ma situation ne relevait pas de ces structures, parce qu'on ne m'avait jamais orientée dans ce sens.

Je rêve aussi d'une autre chose: qu'on me dise une fois pour toute où je me situe dans la neurodiversité.
On m'a en effet plusieurs fois qualifiée de "très probablement neuro atypique" ces dernières années, sans me faire passer aucun test sérieux de nature à étayer cette théorie.
Perso je penche de plus en plus vers "HPI" (haut potentiel intellectuel).
Ce qui n'est pas synonyme de HQI (haut quotient intellectuel).
Je ne suis pas "surdouée".
J'ai juste une fonctionnement cérébral en arborescence, qui fait de moi une usine à pensées et à sensations, ce qui n'est franchement pas facile à vivre tous les jours.
Je n'ai jamais passés les tests neuropsychologiques.
Pourtant ça pourrait être très utile, en particulier pour m'aider à travailler sur mes différences, de sorte à les rendre moins anxiogènes.

Je ne suis pas une "extrémiste" de l'étiquette "pathologique" ou neuropsychologique.

Je sais que j'ai une pensée en arborescence, que je me sens différente des autres, que je fais preuve d'hyperacuité, d'hypersensibilité, d'hyperstimulabilité, d'hyperémotivité, d'hyperempathie... des choses que j'ai essayé de réguler de façon empirique pendant des années. C'est épuisant.
J'aimerais vivre ma vie de façon à peu près sereine.

Ceci étant dit, oui, j'ai en effet une tendance assez constante à réagir avec appréhension aux situations stressantes. Donc oui je suis anxieuse.
Je vie qui plus est dans un état de grande sensibilité à toutes les stimulations. Je ressens de toute évidence avec plus d’intensité les situations de la vie en générale que la plupart des gens que je côtoie.
J'ai aussi une grande sensibilité affective, une grande empathie, et un grand intérêt global pour tout ce qui tourne autour des stimuli en général. Ressentir les choses, beaucoup de gens pensent que ça a des limites claires, mais je sais moi que c'est faux, car chez moi ça a des résonnances incroyables.
Je me suis rendue compte ces dernières années que je sais généralement très très bien ce que je ressens, que je suis capable de mettre spontanément des mots "techniques" dessus, en étant obligée de faire des paraphrases pour les gens qui ne les comprennent pas... je comprend et j'exprime. Et surtout je distingue mes émotions de celles des autres. Mais comme j'ai conscience de mon décalage général, souvent ce que ressentent les autres, c'est stressant parce que je ne sais pas comment régler le curseur de mes réactions pour être "correcte".

Mon anxiété et ma dépression découlent généralement de cette histoire de curseur et du décalage humain dans lequel je vis.

Bon ben voilà. Y'a le décalage horaire... moi je suis en décalage humain.
C'est pas facile à vivre tous les jours, mais je m'aime beaucoup comme ça.

Temps d'écriture et de réflexion : 4h

lundi 3 juillet 2023

Ma chère Mamie

 3h30

Après une heure de lecture, l'espoir de me rendormir me quitte.

J'abandonne mes draps pour aller faire infuser du tilleul, je prépare le canapé pour m'y allonger, espérant que Morphée m'y accueille tôt ou tard.

Je me sens vide et remplie de tristesse tout à la fois.

Ma mamie a le cœur qui flanche. Usé par plus d'un siècle d'existence. Son corps perd ses forces. Son énergie faiblit et elle vacille et tremble, comme la flamme d'une bougie qui épuise les ultimes traces de cire pour ne pas s'éteindre.

Le temps des adieux est venu.

Moments d'affection où toute la famille, même éloignée, se resserre.

Moments tellement chargés en émotions.

Tendresse et tristesse se mêlent pour accompagner ce petit brin de femme vers une fin finalement si attendue.

Je sais qu'elle en a assez, que c'est devenu long, ce temps de vie. Cela ne rend pas pour autant les choses plus faciles, moins douloureuses. Je lui souhaite de partir dans son sommeil, doucement, comme un glissement vers l'apaisement.

Est-ce illusoire ? Idéaliste, certainement.

Peut-être égoïstement, j'espère que cette transition ne se fera pas trop vite, afin que le plus grand nombre ait le temps de venir la voir, de partager d'ultimes moments d'intimité familiale avec elle. Mais j'aimerais également la sentir soulagée de sa souffrance, de cet épuisement qui l'attire peu à peu vers sa fin.

Je suis inquiète pour ma maman, sa fille, son seul enfant. Je n'imagine pas ce qu'elle éprouve.

Hier soir j'ai attendu chez mes parents l'arrivée des premiers pèlerins familiaux. On vient de loin pour passer d'ultimes moments avec une personne aimée, regrettant parfois d'avoir attendu ce dernier moment précieux.

Est-ce une chance ou une malédiction, de pouvoir dire adieu ? Savoir qu'on est en train de partir, conscient que c'est pour cette raison que les liens se resserrent finalement...

Ma maman, comment le vit-elle? Il me semble que ça serait déplacé de le demander. L'expression de l'amour maternel et filial est parfois une chose si compliquée à vivre.

Hier soir je suis rentrée chez-moi bouleversée.

Je me suis allongée aussitôt rentrée.

Mais voilà, je ne dors plus.

Les heures s'écoulent sans que je sache qu'en faire.

Puis je sombrerai à nouveau dans un répit face à cette tristesse qui va s'étirer sur une période indéterminée.

Épée de Damoclès... échéance imprévisible que cette fin de vie que je lui souhaite la plus douce possible, entourée de personnes aimantes.

Mamie a eut 100ans le 23 septembre dernier.

Ma chère Mamie.