vendredi 1 novembre 2024

Plein de gros mots

Quand j'évoque mes troubles anxieux, et en particulier mon anxiété sociale, nombreuses sont les personnes qui m'imaginent principalement agoraphobe.

Oui. Mais non.
Les personnes qui sont exclusivement agoraphobes souffrent de ce qu'on appelle une "anxiété sociale simple" (c'est à dire ayant un objet unique). Cela représente environ 25% des cas d'anxiété sociale.

Autrement dit, dans 3 cas sur 4, les personnes personnes qui souffrent d'anxiété sociale réagissent en réalité à un large éventail de situations sociales. On parle alors de phobie sociale généralisée.

Ces troubles anxieux sont nombreux, divers et créent un cocktail propre à chaque personne qui en est atteinte.

En ce qui me concerne, les situations de performance avec peur d’échouer sont bien entendu problématiques, comme elles le sont pour une grande partie de la population générale : examen, entretien formel, prise de parole en public...
Les situations d’affirmation de moi ne sont pas top non plus, mais mes réactions anxieuses dépendent beaucoup du contexte social. Ainsi, donner mon avis, demander ou refuser quelque chose, exprimer et recevoir des critiques peut soit très bien se passer, soit engendrer une anxiété sévère, laquelle va perdurer sur une période allant de quelques minutes à plusieurs jours.
Mon gros, très gros problème actuel (vu que je veux entrer en emploi), ce sont les situations d’observation. Être observée pendant que j'écris, travaille ou réalise une action quelle qu'elle soit est réellement problématique

Alors oui, je suis agoraphobe, en partie. Au sens clinique, je présente en effet une forte anxiété face à l'éventualité de me trouver dans des situations ou des endroits sans échappatoire facile d'accès ou sans possibilité d'obtenir de l'aide. Mais je n'ai pas peur de la foule (je m'y sens même plutôt à l'aise) ni des grands espaces vides. Les choses sont plus en fonction du contexte.
En ce qui me concerne, je n'aime pas monter en voiture en tant que passagère si je ne suis pas certaine de mon affinité avec le conducteur, mais il m'est également compliqué de faire monter dans mon véhicule des personnes dont je ne suis pas assurée qu'elles vont être respectueuses (difficile de m'enfuir de ma propre voiture, et impossible de laisser en plan des gens que j'ai transportés, parfois sur une longue distance).

Le cœur de mes troubles anxieux, ça a longtemps été la phobie sociale. Aujourd'hui, je souffre davantage d'anxiété sociale sévère que de phobie, mais cela continue d'impacter très fortement ma qualité de vie. Mes émotions dans les situations redoutées ne sont plus aussi violentes que par le passé. L'inconfort a heureusement remplacé la panique et ses crises paroxystiques (accompagnées de larmes, d'une impossible de parler, de me concentrer, ou même de rassembler mes idées).

La phobie sociale, j'essaie de m'en sortir depuis des décennies, avec un important travail sur moi, c'est à dire sur la façon dont je gère mes émotions et les laisse, ou non, gouverner ma vie.
Toutefois, je dois bien avouer que je la tiens également à distance via de très (trop) nombreux évitements: étant mal à l’aise dans telle ou telle situation, je ne m'y confronte tout simplement pas.
Sinon, je prends le risque d'éprouver une anxiété intense, avec des signes physiques très dérangeants, tels que des poussées de sueurs, des tremblements, des troubles spasmodiques très douloureux, et autres délicatesses.
La peur essentielle au centre de ma phobie sociale c'est d’être jugée négativement, de paraître ridicule, de me faire remarquer dans un sens négatif et de m'en trouver humiliée. Là où la plupart des gens éprouvent une certaine gêne, je vais éprouver une honte intense de moi-même, avec tout un tas de réactions physiques, dont la principale sera la crise d'angoisse, voire de panique.

L'anxiété sociale est épuisante, car elle a pour conséquence un état de veille constant en situation sociale (y compris au téléphone), visant à moduler mes comportements en fonction des situations est des personnes avec qui j'interagis, de sorte à ne pas générer de jugements négatifs de la part d'autrui. Le tout en cherchant à cacher à tout prix d'éventuels malaises pour ne pas attirer encore plus l’attention.

J'ai parfois dû faire des efforts démesurés pour affronter des situations banales aux yeux des autres. Il m'a fallut ainsi tout un entraînement conscient pour réussir à entrer dans n'importe quelle boulangerie. Faire mes courses sur un marché reste encore une limite non atteinte, même si je peux confortablement accompagner quelqu'un qui fait ses courses dans ce contexte. Les grandes et moyennes surfaces sont un havre de paix, surtout durant les heures creuses.

Pour ceux qui aiment les grands mots savants, je suis principalement atélophobe. Ce trouble anxieux se caractérise par une crainte irraisonnée de ne pas être à la hauteur des attentes des autres. Ce trouble correspond à un fort manque de confiance en moi. Je m'inquiète ainsi de façon récurrente de ne pas être à la hauteur. De plus en plus de gens connaissent ce trouble via le "syndrome de l'imposteur", dont il est un des symptômes.

Histoire que ça soit plus fun, j'ai une atélophobie sociale, c'est à dire que j'ai peur de ne pas me comporter correctement avec les autres, dans mes interactions quelles qu'elles soient (ce maudit téléphone!).

Je suis globalement très sévère avec moi même.
J'ai tendance à avoir une peur démesurée qu'on remarque mes défauts. Bien que je sache parfaitement qu'il est humain et normal de commettre des erreurs, l'idée que ça m'arrive généré une anxiété disproportionnée. Il faut dire que j'ai tendance, dans certaines circonstances à surestimer les normes attendues (souvent faute de points de références).
Tout ça me conduisant souvent à... ne rien faire plutôt que de prendre le risque d'être mauvaise ou d'échouer. Voire à éviter toute situation de nature à engendrer une possibilité d'erreur.
Très souvent, je me retrouve en "mode blocage", parce que je n'arrive pas à satisfaire mon propre niveau d'exigence.
Cela génère non seulement de l'anxiété, mais aussi de la dépression, car cette honte que j'ai de moi, est très envahissante.

Je souligne par ailleurs que si je souffre principalement de troubles d'anxiété sociale, je suis avant tout handicapée par une anxiété généralisée.

L'anxiété généralisée est excessive et concerne plusieurs domaines d'activité, de cognition et d'événements, de façon quasi constante, même lorsque je me sens calme, détendue et sereine.
Il s'agit pour moi d'un état nerveux altérant considérablement ma qualité de vie. Car je suis souvent très tendue physiquement, mon corps restant dans un état de tension chronique. Je suis sujette aux apnées partielles diurnes (je retiens mon souffle, inconsciemment). J'éprouve des difficultés à gérer mon énergie et ma fatigabilité liée aux situations de stress, ce qui m'a conduite à adopter des routines sécurisantes. Je me sens agitée et nerveuse pour un rien, parfois dès le réveil. Mes capacités de concentration et d'interaction sont souvent diminuées, et selon mon état de stress et de fatigue, je suis plus ou moins irritable.

Je souffre de mysophobie (hypersensibilité au bruit) et de photophobie (hypersensibilité à la lumière), accrues lorsque je suis fatiguée et ou stressée. J'ai peur de l'imprévu, car il m'empêche de me réguler, de prendre les mesures apaisantes qui me garantissent un bon confort, mais je ne souffre en revanche pas vraiment d'anxiété d'anticipation (je ne m'inquiète pas trop de ce qui risquerait d'arriver). Seuls les imprévus générant potentiellement de l'anxiété me posent problème, car ce qui n'est pas anticipé est moins bien géré.

Au fil des années, mon système nerveux s'est dérégulé et je présente à présent un syndrome fibromyalgique modéré, ainsi qu'une hypertonie vésicale (en lien avec une hypertonie généralisée chronique).

Pourtant...
Je vais bien.

En tout cas, mon état physique et psychique n'a rien à voir avec ce que ça a été il y a quelques années de ça.
Je ne désespère pas de me rétablir, même si je sais qu'il me faudra pour cela adopter et conserver des routines visant à maintenir l'équilibre. On a rien sans rien, après tout...

dimanche 27 octobre 2024

Vide

Assise sur un banc de bois humide des dernières pluies nocturnes, je me sens vide. Il n'y a rien en moi. Ou bien il y a trop. Trop de mots, d'idées, de souvenirs et de questions qui se heurtent, qui flottent au gré de mon vague à l'âme, sans rien pour les diriger, les ancrer dans ma réalité. Ils s'agrègent entre eux faute de pouvoir trouver un rivage favorable.

Autour de moi, devant moi, les gens passent, simples promeneurs, joggers solitaires ou en groupe, eux aussi agrégés par une activité sportive commune, une foi dans leurs ambitions de compétition, dans leur remise en forme ou que sais-je...

En quoi ai-je foi?
En moi-même, étrangement, malgré ce vide étourdissant qui me submerge au quotidien. En l'avenir, avec la certitude qu'il existera toujours, dans la permanence des temps, même si je n'ai plus perception de celle-ci...

Je suis sortie de chez-moi pour échapper à mon immobilisme et me voilà à nouveau assise, simplement ailleurs.
Les nuages ont recouvert le ciel et ses horizons d'une chape grisâtre qui m'éblouit bien davantage qu'un ciel bleu. Je baisse les yeux, le menton, les épaules. Tout en moi s'affaisse et se crispe. Mes cils retiennent les larmes qui menacent de franchir la limite des paupières. Des ébauches de sanglots me serrent la gorge, peut-être un peu plus que d'ordinaire.

Dans mon dos, au loin vers le nord, ou à l'ouest, peut-être, je perçois les cloches d'une église, là où la messe sera dite ce jour. En réponse à cette clameur de fonte, les pies donnent de la voix à leur tour dans le bosquet situé un peu en aval des remparts où je suis bloquée par mes mots qui se déversent. Une corneille croasse, loin, ailleurs.

Les pas des piétons qui passent font crisser le gravier alentours. Des corps dont je perçois les mouvements sans pouvoir relever mon regard assez haut pour distinguer des traits.

Ma faim commence d'émerger. J'ai acheté du saumon, de la julienne de légumes, de l'ananas. Je vais essayer de me faire un repas structuré, assise à une table. Tout à l'heure, quand je rentrerai. Quand j'aurai quitté le banc, les bruits de la ville, tout autour.

Il faudra bien qu'à un moment j'arrive à me dénuder, prendre la douche que je repousse depuis des jours, faute de trouver l'énergie pour m'abandonner au flux de l'eau chaude avant de m'arracher à son cocon apaisant. La fin de la douche est redoutable. Lever de jambe pour sortir de la baignoire. Essuyage. Moiteur. Lorsque je me lave ou ne serait ce que, lorsque je me mouille la tête, séchage. Je n'envisage pas de me couper les cheveux. Jamais. Mais tout ça me coûte cher en énergie. Quand j'en manque, la seule éventualité de devoir consacrer du temps et des efforts à en  éliminer l'humidité m'épuise avant même de passer la porte de la salle de bain.

Ce vide qui encombre mon quotidien cherche l'épure, l'économie, le "rien". Pourtant je redoute tout ça. Comment vivre vraiment dans l'absence de tout? L'absence d'efforts, l'absence de vie.

Je l'ai déjà écris, je ne fais que survivre, quand la dépression m'entraîne dans ses flots et me ballote au gré des vagues.
J'essaie de reprendre pied, comme je peux, où je peux. Je m'accroche à ce qui passe, en espérant que ça tiendra, que je ne vais pas être encore plus perdue. J'essaie. Ou pas. Je me tourne, étend bras et jambes, m'abandonne au flux, me laisse charrier par le mouvement, impuissante. À quoi bon lutter lorsqu'il n'y a pas de terre à l'horizon ?

La métaphore est faussée et fallacieuse, bien sûr.
Je ne suis pas seule au milieu des flots de mes pensées. J'ai des (rares) amis, de la famille, des thérapeutes.

J'écris sans réfléchir à mes mots.
Je suis ressortie après avoir fait mes courses, parce que me renfermer dans mon T2 m'étais insupportable. Je suis allée me garer rempart de l'Est, ai remonté à pied le boulevard Émile Roux et puis ce banc, à peine le Conseil Départemental dépassé.

J'aurais de l'énergie physique pour marcher encore. Un peu. Mais le moral est résolument en berne et tout ce que je parviens à faire, c'est écrire, du bout du doigt, en ligne.

Déverser des mots comme si je pouvais échapper à moi même, de cette manière.

J'ai essayé de comprendre pourquoi tout ça revient, tout ça m'envahit. Mais il n'y a pas d'explication, pas de réponse miracle, pas d'illumination qui pourrait transfigurer mon état dépressif vers un épanouissement subit.
Il faut que je fasse des efforts, que j'aille de l'avant, que je réenclenche les mécanismes positifs. Il je suffit pas de prendre l'air une fois, un dimanche matin, pour que mon cerveau comprenne que la donne a changé. Il va falloir tenir bon, réapprendre à sortir, marcher, profiter, respirer, écouter, sentir, me remplir de ce "tout", collection de petits "pas grand chose", qui viendront peu à peu à bout du vide.

Je me suis fermée, je crois, ces derniers mois. Je n'ai plus laissé entrer les choses, les gens, les émotions, les stimuli.
J'ai fais venir, par Internet, les choses dont je pensais avoir besoin. Mais je ne suis pas allée vers les gens, le monde. Ou trop peu, par intermittence, par sursauts.

Je suis restée trop longtemps assise. Je vais aller faire un tour. Comme je peux.

Je me sens moins vide, et plus détendue.