dimanche 2 octobre 2016

Emprise conjugale

J'ai découvert la notion d'emprise via les livres de Marie-France Hirigoyen. J'essayais de comprendre les véritables liens qui m'unissaient à mon mari. Cela faisait dix ans que nous vivions ensemble et je commençais à comprendre à quel point j'étouffais. J'étais épuisée par sa maladie, mais aussi par les dizaines de revirements émotionnels qu'il m'avait fait connaître depuis notre première rencontre.

Je commençais à prendre conscience de l'écran de fumée des promesses, des belles paroles enjôleuses, des sables mouvants de notre relation qui m'avaient amenée à d'inquiétantes crises de dépersonnalisation, d'agitation aigüe et d'automutilations...

J'ai rencontré Alain par internet alors que j'étais très jeune. J'ai commencé à lui écrire alors que j'étais à peine majeure et l'ai rencontré environ un an plus tard.

Je n'avais pas d'amis et très peu de relations sociales.
J'avais des condisciples, avec lesquels je fréquentais le même lycée, les mêmes classes, mais ils n'étaient pas des amis et même si j'avais quelques "copines", nos relations restaient très superficielles.
Je savais aller vers les autres mais je ne savais pas maintenir le lien social, comprendre les attentes des uns et des autres, alimenter convenablement les conversations, ne pas commettre d'impairs et jeter un froid.
Bref j'étais socialement totalement inadaptée.

Je trouvais mon bonheur dans les correspondances que je pouvais me trouver sur Internet, et j'y étais toujours sincère, même si souvent rêveuse. Je ne songeais généralement pas réellement à rencontrer mes interlocuteurs et je leurs confiais bien imprudemment des détails sur ma vie, mes aspirations, mes craintes, mes angoisses, les causes supposées de mon malaise...

La violence psychologique est un terme aujourd'hui communément accepté. Ce qui est ignoré, ce sont ses conséquences. Ignoré et, bien pire, réfuté. [...] Il doit nous obliger à ouvrir les yeux sur des drames quotidiens, enfermés entre quatre murs.

Enfermés, c'est le cas de le dire.

Mon mari était un adepte de la rigueur et de la force de la volonté. Ayant constaté que j'étais d'une grande faiblesse de ce point de vue, dès que nous avons commencé notre vie commune, il a commencé à m'inculquer des horaires et une discipline de vie que certains pourraient facilement qualifier d'extrême. Ceci-dit, il ne voyait pas ce qu'il y avait de déviant dans son mode de vie et me concernant, je regardais ses manies comme des bizarreries d'un homme ayant connu des privations et un mode de vie "à la dure" dans sa jeunesse, et qui en avait gardé des stigmates.

Et si malgré tout je vivais mal certains aspects des choses, j'évitais de m'en plaindre, parce que, après tout, je m'étais largement plainte de ma vie "antérieure", de mes relations conflictuelles avec ma mère et de mon mal-être général. Je souhaitais satisfaire mon compagnon et lui montrer qu'il m'apportait beaucoup. J'avais vraiment besoin de croire à un nouveau départ dans la vie, grâce à lui.

C'était une erreur.
C'est une attitude risquée que celle de se reposer sur les autres pour se construire, et tenter d'aller de l'avant. S'en remettre à un tiers, c'est prendre le risque de s'oublier et de voir l'autre comme un guide omniscient. C'est une voie qui peut sembler facile, mais elle est dangereuse... L'autre est nécessairement différent. Qu'il soit bon ou mauvais n'a pas d'importance. Regarder le monde par dessus l'épaule d'une autre personne, c'est biaiser son point de vue.
On ne peut pas vivre sans les autres, mais jamais je n'aurais du accepter de vivre selon des règles qui ne me convenaient pas, jamais je n'aurais du accepter d'être tantôt encouragée et tantôt infantilisée. Pourtant je l'ai fais...

Une femme qui se fait frapper par son conjoint, ou empoigner trop fort par le bras, qui se fait insulter, crier dessus ou qui doit subir une crise de jalousie parce qu'elle a "osé" porter un décolleté ou une jupe à la mode, mais qui auront paru "indécents" à son compagnon pourra comprendre facilement que son partenaire de vie a une tendance à l'agressivité, la possessivité ou la violence.

Le phénomène d'emprise est différent. C'est un peu "viens donc que je t'embrouille"... des belles paroles, une écoute attentive et surtout le tissage méticuleux d'une relation de dépendance. Cette dépendance est essentielle pour que l'emprise prenne racine. Dépendance du point de vue du toit sur la tête, de l'écoute, de l'affection, dépendance financière, alimentaire... tout est bon. Et même si des encouragements peuvent être donnés pour que l'autre acquiert un peu d'indépendance, dès que la chose commence à prendre forme, des reproches se forment habilement, culpabilisants, ramenant l'autre dans le giron du dominateur narcissique...

J'ai connu ça... être encouragée à me faire des amis, avant qu'il me reproche de ne pas "rentrer à l'heure" de la fac (quel étudiant appelle son conjoint pour dire qu'il papote avec les copains avant de rentrer???)... Encouragée à travailler "pour être capable de faire quelque chose de ma vie", mais subir des reproches parce que je travaillais à des moments qui ne l'arrangeaient pas (!). Encouragée à "aller mieux", tout en entendant sans arrêt des critiques sur les psys, jamais content de mes horaires de rendez-vous ou de soins... etc.

Il était gentil et doux, la bonté incarnée... un moment. Je crois que c'était un besoin, chez lui. Être tendre et attentionné, c'était davantage pour lui même que pour les autres. Un rôle valorisant, en somme.
En vérité, la plupart du temps, il était dur, froid, distant, inflexible.
Je ne pensais qu'il devenait ainsi quand il était contrarié, et cherchais systématiquement à savoir quels étaient les facteurs déclencheurs, aussi j'essayais de le satisfaire en tout. Pour ne pas prendre le risque d'être brimée, rabaissée ou humiliée par ses mots d'une dureté infinie, d'une froideur glaçante.
Sauf qu'à tout bien réfléchir, chaque fois que je l'ai observé alors qu'il était seul, dans son bureau, dans son jardin, dans n'importe quelle activité où il se croyait seul, il portait avant tout cette froideur en lui, cette rigueur qu'il élevait au rang de vertu absolue.
C'était sous mon nez mais je préférais voir un homme torturé par la vie, qu'il fallait ménager, alors que lui ne prenait jamais de pincettes avec moi...
L'emprise psychologique est constituée de comportements alternant une tendresse simulée, et la maltraitance, les injures, le dénigrement, les reproches, le mépris, comportements répétés et implacables. Le bourreau utilise la victime comme défouloir à ses diverses pulsions, jusqu'à la dépersonnaliser. Véritable torture, tout raisonnement, toute pensée, tout acte individuels et libres sont interdits. La violence psychologique crée un brouillard, sème la confusion, empêche toute réaction pour se protéger. L'emprise est une histoire individuelle qu'il faut connaître avant de juger.

Elle suit toujours le même schéma. Caméléon, elle s'adapte au caractère des victimes. Elle se glisse dans les fragilités et les creuse comme la gangrène, inlassablement.
J'étais maladroite socialement et j'évitais les situations qui risquaient de révéler ma maladresse, mon manque de conversation "normale" et mes paniques inexplicables. Je craignais terriblement de nouer de liens sociaux que je savais être incapable d'entretenir, sans comprendre pour autant pourquoi.

Je m'étais montrée incapable de suivre des études universitaires, trop habituée à fonctionner sur mes "acquis de cours" (j'ai passé le bac sans avoir fais de fiches, sans avoir véritablement révisé au sens classique du terme, et j'ai pourtant "décroché" le diplôme en me contentant des souvenirs que j'avais de mes cours).

J'étais obsédée par l'idée que je décevais forcément mes parents. Ma mère surtout. J'étais aussi obsédée par l'idée qu'elle ne me comprenait pas du tout, e ne percevait pas mon état de souffrance psychique permanent. Je ne comprenais absolument pas qu'elle ne se rende pas compte que ses activités dans la maison familiale me semblaient affreusement bruyantes et dérangeantes. Pour être honnête, je ne comprenais pas exactement ce que je lui reprochais, et je plaquais des motifs divers sur un sentiment d'injustice dont elle ne pouvait pas avoir conscience, puisque je ne parlais jamais à mes parents de mon sentiment dominant de honte de ne pas être "normale". J'avais intimement conscience d'être différente émotionnellement des autres personnes de ma classe d’âge, de ne pas les comprendre, de me tromper régulièrement sur leurs intentions et du fait que je m'écartais d'eux volontairement pour éviter de souffrir d'une anxiété trop envahissante.
De toute façon, j'étais de toute évidence très différente de mon seul "étalon-maître", seul point de référence, c'est à dire ma sœur aînée. Je savais que maman me trouvait "intéressante" de par ma différence, mais je savais aussi qu'elle ne mesurait absolument pas le degré de souffrance intérieur que produisait mon incapacité à m'accorder avec le monde. Et bien sûr je n'étais pas du tout capable d'utiliser de comprendre quoi que ce soit de tout ça, à l'époque. Une époque où ma souffrance psychique se situait à 8 sur une échelle de 10.

Par mes correspondances, puis les longues discussions que j'ai eu avec Alain (ou plutôt des monologues que je tenais, dans lesquels il intervenait pour attiser ma colère contre ma mère), je lui ai fourni la plupart des clés qui devaient par la suite lui permettre d'asseoir son emprise. J'avais de très nombreuses failles et une très faible connaissance de leur nature véritable...
Avec les années, j'ai étudié de manière autodidacte, par tâtonnements empiriques et pragmatiques à me connaître. J'ai appris à mettre des mots sur mes traits de caractères et mes déficiences. Via des recherches en arborescence, j'ai étendue mes connaissances quant à mon émotivité, mon anxiété, leurs symptômes. J'ai commencé à comprendre que je ne pouvais plus continuer à accuser ma mère de tous mes maux. J'ai commencé à relever qu'Alain avait des comportements abusifs à mon égard, dans sa manière de chercher à tout contrôler.
Bref, j'ai changé... Alain n'a pas aimé, sans que je comprenne pour autant pourquoi il ne se réjouissait pas avec moi de ma meilleure compréhension de mon fonctionnement intellectuel et émotionnel.
J'étais sous emprise.
De manière maladroite, je cherchais à me protéger.
Je crevais de trouille à l'idée de devoir avouer à mes parents mes déficiences sociales, mais c'était encore pire avec mon mari et sa famille. Je ne pouvais pas parler de mes problèmes à la famille de mon mari, ça aurait été lui faire honte, et j'avais déjà bien assez honte de moi comme ça, pas la peine d'en rajouter. J'avais très vite compris que je ne devais pas évoquer le fait que je souffrais d'anxiété chronique, pas plus que je ne devais laisser voir que l'anxiété me fatiguait voire me rendait dépressive. J'avais beau souffrir du déni de mon mari, je m'étais laissée convaincre de l’efficacité de la méthode Coué... après tout, si j'ignorais les symptômes, je parviendrais à faire disparaître le mal. Un pure question de volonté et de rigueur.
Quand j'ai emménagé avec Alain, j'étais dépendante financièrement de mes parents. Ma mère me versait de l'argent tous les mois, et bien que je sois inscrite en agence d'intérim, je me sentais totalement incapable d'occuper le moindre emploi.
J'avais essayé de passer le BAFA, à l'image de ma sœur, mais je n'ai jamais été et je ne serais jamais une animatrice. J'aime les activités solitaires et gère très mal les activités de groupe ou me demandant d’interagir avec les autres dans des domaines que je sais ne pas maîtriser ou pour lesquels j'ai du mal à accorder de l'intérêt.
J'ai repris des études universitaires à la fois parce que j'étais terrorisée par le monde du travail et parce que faire des études de Droit constituaient un défi personnel alors que dès le collège la conseillère d'orientation avait tenté de me décourager de cette aspiration.
Cependant cela m'a rendue financièrement dépendante d'Alain. J'habitais avec lui, je me pliais à ses horaires, respectais ses budgets pour faire les courses et devais me contenter des 200€ qu'il m'accordait comme "argent de poche" tous les mois, avec lesquels je payais mes frais universitaires, ma mutuelle santé, mon essence, mes vêtements...

Au bout de quelques mois, j'ai su que cette vie ne me convenait pas. Mais enfermée dans ma honte et le dégout de ma faiblesse, je suis restée.

Pourquoi suis-je restée 10 ans, je me le demande encore...
J'ai lu une fois l'expression de "terrible mécanique sacrificielle", à propos de l'état d'emprise.
C'est exactement ça. On se sacrifie pour satisfaire l'autre. Il nous semble si séduisant dans ses bons moments qu'on souhaite bénéficier de cette aura, et on est prêt à se sacrifier, à abandonner sa dignité, à accepter des déviances qu'on désapprouve pourtant, tout ça simplement pour que l'autre nous fasse bénéficier de sa chaleur. Parce que sinon on se sent abandonné, puisqu'on a plus de contact avec le reste du monde... un monde qui nous semble hors de portée, et où on a pas notre place, car bon à rien, nul, incapable... sauf sous ses encouragements.
Jamais je n'ai vu Alain se remettre en question. Même la fois où il a nié la bonne direction d'un sentier de montagne, il s'est acharné à aller de l'avant dans la pente abrupte, alors que je le suppliais de faire demi tour, lui indiquant que je voyais le sentier. Encore quelques minutes, je suis sûr que c'est là, m'affirmait-il. Ce n'était pas là du tout. J'ai fait une terrible crise d'angoisse ce jour là, j'ai été prise de palpitations, mes jambes menaçaient de me lâcher, et lui, il avançait, sans tenir compte de mes cris d'angoisse. Quand il a fini par faire demi tour parce que je hurlais de détresse, il m'a dit qu'à cause de moi, il avait du s'arrêter à quelques mètres du col et m'a reproché de ne rien lui avoir dit au sujet des balises que j'avais vu (alors que je les lui avais signalé, mais il n'en avait fait qu'à sa tête).

La moyenne randonnée en montagne était une de ses plus grandes passions. Une des rares que je connaisse, en tout cas. Alain était très secret.
Il prétendait vouloir partager celle-ci avec moi, mais quoi que je fasse, nous n'étions jamais ensemble.
Il était meilleur grimpeur que moi et n'hésitait pas à me laisser loin en arrière, ne faisant pas de pauses, tout à son "défi" d'arriver au sommet, chrono à l'appui. Je pleurais en silence dans la solitude. La première fois, je lui ai expliqué mes larmes, il a semblé s'en inquiéter, mais invariablement, il a continué à monter à son rythme. Plusieurs fois, en essayant de suivre son rythme, je me suis cognée suffisamment fort pour boiter et garder des bleus, mais il ne s'en inquiétait jamais.
J'étais une très bonne descendeuse. Mais je n'ai jamais eu le droit de me faire plaisir. Je descendais trop vite pour lui, et il m'a insultée plus d'une fois "parce qu'il avait faillit tomber avec mes conneries". Plusieurs fois j'ai essayé de comparer nos plaisirs, lui à la montée, moi à la descente.... Lui il se faisait plaisir, et m'attendait en haut, donc j'aurais pu me faire plaisir de temps à autre en descendant certains passages à mon rythme et l'attendre en bas. Il avait rétorqué que ça n'était pas comparable et m'avait même dit que s'il tombait, ça serait de ma faute.

Quand il est tombé malade et qu'il ne grimpait plus si vite et ne pouvait plus marcher aussi longtemps qu'avant, c'était encore de ma faute. Alors que quelques années auparavant, il rechignait toujours à m'accorder des pauses, moi, il m'accusait de ne "rien en avoir à foutre de lui", alors qu'il ne réclamait pas de pauses, bien que je m’enquiers régulièrement de savoir si tout allait bien.

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