jeudi 15 février 2018

Centre Universitaire de la Charente, Licence de Droit

Après ma tentative avortée de passer le BAFA, "comme ma sœur" durant les vacances de Pâques de 2005, face au constat que les boîtes d'intérim ne voulaient pas franchement de moi, j'étais résolue à reprendre des études. Au début, je pense "vite et bien". J'envisage de m'inscrire en BTS, mais Alain me déconseille cette voie, qu'il me présente comme ne me "correspondant pas". Je l'écoute. Après tout, il sait de quoi il parle.

Finalement, vers la fin mai, je suis décidée à réaliser un vieux rêve, dont la conseillère d'orientation du collège avait tenté de me décourager : faire des études de droit. Le fait est qu'il existe un antenne déconcentrée de l'Université de Poitiers près d'Angoulême, juste à côté du CHS (des années après, je remarque l'aspect ironique des choses).
Autour du feu, lors des 25 ans de ma sœur aînée, chez sa future belle-mère, j'évoque cette reprise d'études avec mes parents. Comme toujours, ils veulent mon bonheur avant tout.

L'été auprès d'Alain, chez qui j'emménage début juin, est tranquille, presque idyllique. Il s'occupe de son potager, je cuisine les légumes, nous allons dans les Pyrénées pour randonner.

L'inscription au Centre Universitaire de la Charente, début septembre 2005, est une épreuve difficile. Elle le sera les trois années suivantes également.
Le début de la première année se fait presque facilement. J'ai une confiance en moi nouvelle, je me sens bien. Malheureusement les choses ne durent pas. Quand les travaux dirigés commencent, je commence à ramer. Je ne sais plus faire de commentaire de texte, alors des commentaires d'arrêt de justice, c'est vraiment difficile. Sans compter qu'en première année il y a des chargés de TD "honorifiques", non universitaires mais installés dans les institutions locales. Parfois ils manquent cruellement de pédagogie.

En outre à la maison, les choses se compliquent : les horaires de repas, de coucher et de lever changent dès la fin du mois d'aout.
La vie d'Alain m'apparaît soudain comme une succession de routines inébranlables. Levé à 6h45, petit déjeuner à 7h, toilette au lavabo pour lui, habillé, travail. Le soir on doit être à table pour dîner à 18h45, après quoi il regarde une émission de télévision de 19h à 20h45, puis éventuellement autre chose. Extinction des feux à 22h45 maximum.
En weekend, il vaque à ses occupations, mais a ses horaires précis pour toutes choses. Il fait le ménage et la lessive le dimanche, et prend également son bain hebdomadaire.

Quand je vais en cours, je dois envoyer un SMS pour dire que je suis bien arrivée, et un autre pour dire que je rentre. Je dois aussi appeler à midi. Si je ne le fais pas, Alain "s'inquiète" et me reproche de "l'oublier". La chose devient une routine. Je ne me rend même pas compte qu'il m'empêche de cette manière d'interagir avec les autres et qu'il me surveille.

Peu importe. À ce moment de mon existence, à 23 ans, je pense que je ne pourrais jamais avoir une vie meilleure, que j'en suis définitivement incapable.

Face à mes difficultés scolaires, Alain ne cesse de me répéter que je dois faire des fiches, mais je ne sais absolument pas comment m'y prendre. J'ai toujours fonctionné sur mes acquis de cours : j'allais en classe, j'écoutais, j'écrivais ce qu'on me disait et c'est à peine si je les relisais mes cours pour obtenir des notes dans la moyenne.
Je ne peux pas refaire le passé, mais qu'est-ce que ça aurait été si j'avais appris à apprendre plus tôt...

Toujours est-il que je valide mon premier semestre de DEUG, puis le second, mais de justesse.
J'ai quelques camarades de promotion proches, mais je ne les considère pas comme des amis. On ne se voit qu'au centre universitaire et nous n'avons pas d'intimité et rien à partager.
Durant la première année, je met une fois les pieds au restaurant universitaire. Je m'y sens très mal, envahie par le brouhaha ambiant, incapable de suivre une conversation, avec l'envie de m'enfuir qui me tenaille le ventre.
J'emporte systématiquement mon déjeuner avec moi.
Le matin, j'arrive systématiquement en avance en cours.

Entrée en deuxième année, les choses se compliquent. Je commence à être régulièrement malade. Cystites, problèmes digestifs, angoisses croissantes et j'en passe. J'apprends peu à peu à organiser mon travail, à faire des fiches, à réviser. Malheureusement ça ne suffit pas : en droit administratif, je n'arrive pas à fixer ma concentration sur les méandres de la jurisprudence et en droit civil, notre chargé de TD est obsédé par la doctrine et la philosophie du droit, sur laquelle il fait sa thèse, au lieu de se concentrer sur la bonne compréhension de la matière. Qui plus est il a un accent très prononcé et j'ai du mal à le suivre quand il parle.
Mon médecin commence à me prescrire un anxiolytique, le Stresam.

À la fin de l'année, je me battais pour valider toutes les UE (unités d'enseignement) sauf les deux matières problématiques que sont le droit Civil et le droit Administratif.

En outre à la fin du printemps 2007 Alain fait un accident vasculaire oculaire : un caillot obstrue la veine centrale de son œil gauche. Il reprochera longtemps (mais seulement à portée de mes oreilles) à mes parents cet incident, survenu alors que nous déjeunions sur la terrasse, chez eux, "alors qu'il déteste manger dehors".
Nous avons donc passé une partie de l'été à faire la navette entre Angoulême et l'hôpital Pellegrin à Bordeaux, où il a également été hospitalisé de jour pour une hémo-dilution et des examens concernant la coagulation. Il doit également passer des examens de contrôle de la rétine réguliers. Une partie, faute d'arrivée de flux sanguin, est morte. À titre préventif, pour éviter un décollement de rétine par néo-vascularisation, on lui cautérise alors au laser les petits vaisseaux endommagés.

Pour comprendre pourquoi le caillot s'est formé, on fait passer à Alain une batterie de tests, on l'envoie chez un cardiologue, un angiologue, on lui fait passer un test sanguin pour savoir s'il coagule de manière normale.
Deux choses apparaissent alors : d'une part il a une sur-coagulation probablement congénitale et d'autre part, il souffre d'une dilatation de l'aorte descendante inquiétante. Dès lors on surveille sa santé de près.

Alors que je repique ma deuxième année de Licence (le DEUG n'existe plus), on apprend que la dilatation aortique d'Alain est devenue alarmante. Chez un adulte normal, le diamètre en est de 25mm environ. Un scanner révèle une dilatation à 56mm. Le cardiologue l'effraie terriblement en lui affirmant qu'on doit l'opérer d'urgence et sort du bureau pour demander à sa secrétaire de prévoir une coronarographie à l'hôpital. Pendant qu'il est absent, Alain me dit qu'il faut qu'on se marrie. Comme ça.
C'est la mi-décembre.

Fin janvier 2008, nous sommes mariés.
Nous avions déjà conclu un PACS en 2007, pour des questions fiscales (avantageuses pour lui).
Là il transforme son compte personnel en compte joint et me rend bénéficiaire d'assurances vie déjà constituées.

Il faut cependant attendre fin mars 2008 pour qu'il soit opéré.
Je passe mes partiels alors même qu'il est hospitalisé.
On lui pose plusieurs prothèses, dont une valve cardiaque en carbone et titane, ce qui l'obligera à prendre un anti-coagulant jusqu'à la fin de ses jours.
Étrangement, je suis très détachée de ces événements. Je ne suis pas vraiment atteinte par tout ça, cela me semble infiniment distant, comme derrière une paroi de verre, assourdit. Je ne saurais pas comment l'expliquer. Je me sens concernée tout en ayant le sentiment de ne pas l'être.

Après un mois de convalescence, Alain rentre chez lui, à la maison. Il est en congé maladie et prend sa retraite dans la foulée, au 1er octobre 2008 (encore une histoire de fiscalité).

Cette dernière année de droit, où je vais obtenir ma licence va être difficile à bien des points de vue.
D'une part, je suis terriblement anxieuse et beaucoup de matières sont évaluées à l'oral, alors que c'est un exercice que je redoute terriblement. Je fini quasi-systématiquement en larmes et bégayante, même si j'ai des notes convenables (dont un 17 en droit du travail!).
D'autre part... Alain, qui est à la retraite, se montre maintenant vraiment intrusif.
Il critique les horaires de mes cours, et de mes TDs, se plaint des dates de mes partiels qui "nous" empêchent de partir en vacances quand il le souhaiterait, me reproche de ne pas l'appeler si je reste un quart d'heure à discuter avec des camarades sur le parking avant de rentrer.

Bref, même si je refuse de l'admettre, quelque chose ne tourne pas rond.

Alain a décidé que nous allions déménager dans les Pyrénées. Après avoir hésité entre Pau et Tarbes, j'avoue préférer Tarbes, plus petite et sécurisante pour moi. Il semble chercher mon bien être. Nous cherchons des maisons à vendre. Alain se focalise parfois sur des détails, mais c'est lui qui a l'argent, c'est lui qui veut déménager, c'est lui le maître, alors je ne fais que suivre le mouvement.

J'obtiens ma Licence sans devoir passer le rattrapage.
Les choses sont étrangement confuses dans mon esprit, concernant cette période là...
Je ne vivais pas ma vie, à ce moment là, j'étais absente à moi même.

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