jeudi 22 février 2018

Après la fac, boulversements...

Avril 2009. Je décroche ma licence de Droit à 27 ans.
Je me sais incapable de continuer en Master à Poitiers.
Qui plus est, je n'en ai aucune envie.
J'ai étudié des matières fascinantes comme le droit des biens, des personnes morales, le droit communautaire ou l'histoire du droit français... mais je ne me vois aucun avenir juridique.

J'avais voulu étudier la sociologie pour comprendre la société.
J'ai permuté vers la psychologie pour comprendre le fonctionnement des gens.
J'ai finalement étudié le droit dans le même type de démarche : comprendre, avant tout. La justice, le droit, des choses "communes", des institutions, du monde étrange dont je fais partie malgré moi.

Durant l'été, je lis des romans, cuisine, me promène, pars en vacances avec Alain...
C'est vague dans mon esprit.

Parfois, je me sens très, très mal.
Ma vie ne me convient pas.
Je ressens de nombreux manques, un vide profond...
J'essaie de ne pas y penser mais je relâche parfois la tension en me laissant aller en écrivant, en jetant sur le papier des réflexions d'ordre intime sur le papier, sans penser, sans réfléchir, déversant mon mal-être profond.

Un jour je suis dans le jardin tandis qu'Alain est à son ordinateur, dans la salle de séjour.
Quand je reviens à la cuisine, je suis confrontée à mon mari, furieux. Il irradie la rage. Je ne comprends pas.
Il s'avère qu'il est entré dans mon bureau pour regarder un livre et a vu un de mes textes, sur mon bureau. Et l'a lu.
Je suis choquée car il existe un accord tacite entre nous : cette pièce appartient à mon intimité personnelle. Je m'y sens en sécurité, c'est en quelque sorte mon "chez moi", chez lui, mon refuge. J'en ai un réel besoin. Il le sait très bien, mais n'en a pas tenu compte.

Ce qu'il a lu, c'étaient des mots de désarrois, des maux de mon esprit. De mon corps, aussi, qui hurle depuis longtemps, me torture quand je vais mal, quand je ne vis pas, que je survis, que je vis pour les autres, que je nie les choses et me laisse diriger par les autres parce que j'ai trop peur d'être moi-même.

Ce qu'Alain a lu ce jour là, c'étaient des mots de doutes...
Est-ce que je l'aime vraiment?
La question était réellement posée sur le papier, parmi d'autres réflexions.

L'écrire ici, publiquement, on pourrait se dire que c'est me livrer exagérément.
Alors que non.
Non, parce que en dépit de mes doutes d'alors, d'avant, de plus tard, j'ai toujours été très attachée à Alain, j'avais des sentiments forts pour lui, même s'ils étaient souvent ambivalents.
Je l'aimais, je le détestais, j'avais besoin de savoir qu'il allait bien, qu'il était en sécurité, tranquille, mais je me sentais prise au piège. J'ai détesté une partie de sa personnalité, son "passager noir", l'ombre tapie qui entachait sa douceur et sa gentillesse.
Alain était aimant, mais quelque chose était "cassé", en lui, défaillant.

Il était devenu mon mari sans que nous en ayons parlé avant que ça se fasse.
Je n'avais pas refusé.
Tout comme j'étais allée vivre chez lui parce qu'il me l'avait proposé.
Tout comme j'avais conclu un PACS.
Je ne protestais pas, j'étais sans opinion, je laissais la vie faire les choses pour moi.
Je laissais Alain décider.

Quels reproches pourrais-je lui faire, alors que je ne l'ai jamais contredit ?
Pendant des années je suis restée dans une attitude d'acceptation, ne le contredisant jamais, sauf intérieurement, faisant juste parfois des choses discrètement quand il s'affirmait détenteur d'une vérité, qui en fin de compte était trompeuse. Il m'est ainsi arrivé de laisser le chauffage dans certaines pièces, en hiver, au lieu de le couper et de le relancer... il était en effet persuadé qu'il faisait des économies d'énergie, mais une pièce où la température est constante et modérée se réchauffe plus vite et à moins de frais qu'un espace glacé (du sol au plafond, surfaces et air). Au final mon attitude discrète n'avait aucun impact notable sur la facture et mon confort était amélioré.

Souvent Alain se plaisait à dire aux tiers que nous ne nous disputions jamais.
Je pondèrerais largement cette affirmation : nous ne nous affrontions pas dans de bruyantes querelles. Non.
Cependant j'affrontais régulièrement des pluies de reproches, souvent injustifiées au sens commun (ses récriminations étaient "légitimes" au regard de son système de valeurs personnel). Simplement je choisissais de ne pas y répondre. Je le savais meilleurs orateur que moi, plus acharné et obstiné. Sans compter que j'étais le plus souvent convaincue qu'il avait finalement raison, que j'étais dans l'erreur, que j'avais fais ou dis quelque chose de "mal". Ceci en dépit du fait que les notions de bien et de mal soient à géométrie variable, selon les personnes, les sociétés, les époques, la gravité des faits, et autres aspects.

Les choses ne sont jamais toutes blanches ou toutes noires.
La vie, ce qu'on ressent, c'est une palette infinie de nuances, de tons, de textures, de mesures.
On ne peut pas présumer de ce que ressent tel ou untel pour une autre personne.
On peut aimer et détester, désirer et repousser, on peut vivre auprès de quelqu'un et avoir besoin d'en rester éloigné, comme on peut vivre éloigné et ressentir le besoin de contact.

Toujours est-il que je m'étais toujours interrogée sur le bien fondé de notre relation, et évidemment aussi après notre mariage.

J'ai toujours vécu dans le doute. Ça a longtemps été mon principal mode de fonctionnement, d'ailleurs. Quiconque me le reproche me reproche également d'être la personne que je suis, et par extension, me reproche de souffrir de troubles anxieux sévères.
Reprocherait-on à un cancéreux d'être malade ? Non !
Alors quiconque s'estimerait légitime à me reprocher mes troubles psychiques serait dans l'erreur.
Merci bien, je n'ai pas choisi d'être ainsi. Croyez moi, c'est un lourd fardeau.

Lors de l'été 2009, j'ai demandé à mon mari s'il souhaitait que nous nous séparions ou que l'on divorce. La chose me semblait logique devant la réaction extrême d'Alain. Peut être que cela semble absurde vu de l'extérieur, mais après tout, il avait bien lu ce que j'avais bel et bien écris : j'étais attachée à lui, mais je me sentais mal à l'aise et pas vraiment à ma place auprès de lui.

Non, il ne voulait ni divorce ni séparation.
Peut être que c'était ce que je désirais, mais je ne saurais honnêtement pas le dire aujourd'hui.

Le mariage est un contrat qui concerne uniquement les parties qui le signent : les conjoints, donc. La pérennité du contrat est leur affaire, à eux et eux seuls. Une fois le mariage conclu, sauf cas très spécifiques (mariage blanc, mariage forcé...), les tiers n'ont pas leur mot à dire.

Nous n'avons plus remis en question le contrat avant des années, et même alors, nous avons chacun fait le choix explicite de rester mariés.

En septembre, j'ai commencé à faire de l'intérim. Beaucoup d'inventaires et des missions d'ouvrier polyvalent (sans qualifications). J'étais malade quasiment à chaque nouvelle mission. Question recherche d'emploi, j'ai commencé à me sentir vraiment très mal. Au delà de mal à l'aise, l'idée de postuler à des offres me mettait dans un état de panique totalement irrationnel.

Dès le mois d'octobre, je suis allée consulter mon médecin traitant (cette femme me suit toujours et je pense que, à moins qu'elle ne déménage, elle le fera jusqu'à sa retraite). Elle qui avait suivi ma scolarité et constaté mon anxiété croissante au fil de mes études a finit par comprendre que j'étais bien au delà du stress ordinaire. Je lui ai parlé de mes angoisses, que je porte en moi depuis aussi loin que mes souvenirs m'entraînent, et de mon incapacité totale à aller vers l'emploi, vers les autres, vers la vie, à entrer dans les magasins, à pousser des portes, faire de nouvelles choses. Bref, je me suis effondrée, j'ai tout lâché dans les larmes devant elle.

"Ça ressemble beaucoup à une phobie sociale, tout ça".

C'était le début de mon véritable parcours diagnostic.

Grâce à elle, j'ai commencé à aller mieux. J'ai trouvée une psychiatre (en 2010, après plusieurs essais avec des praticiens avec qui ça n'a pas "collé) qui m'a apprit que je souffre de dysthymie (anciennement appelée "névrose bipolaire"), et peu à peu, j'ai appris à me connaître, à faire la différence entre qui je suis et ce dont je souffre.

Mon médecin traitant, Laurence, est formidable.
Ce n'est qu'une humaine.
Moi aussi.

jeudi 15 février 2018

Centre Universitaire de la Charente, Licence de Droit

Après ma tentative avortée de passer le BAFA, "comme ma sœur" durant les vacances de Pâques de 2005, face au constat que les boîtes d'intérim ne voulaient pas franchement de moi, j'étais résolue à reprendre des études. Au début, je pense "vite et bien". J'envisage de m'inscrire en BTS, mais Alain me déconseille cette voie, qu'il me présente comme ne me "correspondant pas". Je l'écoute. Après tout, il sait de quoi il parle.

Finalement, vers la fin mai, je suis décidée à réaliser un vieux rêve, dont la conseillère d'orientation du collège avait tenté de me décourager : faire des études de droit. Le fait est qu'il existe un antenne déconcentrée de l'Université de Poitiers près d'Angoulême, juste à côté du CHS (des années après, je remarque l'aspect ironique des choses).
Autour du feu, lors des 25 ans de ma sœur aînée, chez sa future belle-mère, j'évoque cette reprise d'études avec mes parents. Comme toujours, ils veulent mon bonheur avant tout.

L'été auprès d'Alain, chez qui j'emménage début juin, est tranquille, presque idyllique. Il s'occupe de son potager, je cuisine les légumes, nous allons dans les Pyrénées pour randonner.

L'inscription au Centre Universitaire de la Charente, début septembre 2005, est une épreuve difficile. Elle le sera les trois années suivantes également.
Le début de la première année se fait presque facilement. J'ai une confiance en moi nouvelle, je me sens bien. Malheureusement les choses ne durent pas. Quand les travaux dirigés commencent, je commence à ramer. Je ne sais plus faire de commentaire de texte, alors des commentaires d'arrêt de justice, c'est vraiment difficile. Sans compter qu'en première année il y a des chargés de TD "honorifiques", non universitaires mais installés dans les institutions locales. Parfois ils manquent cruellement de pédagogie.

En outre à la maison, les choses se compliquent : les horaires de repas, de coucher et de lever changent dès la fin du mois d'aout.
La vie d'Alain m'apparaît soudain comme une succession de routines inébranlables. Levé à 6h45, petit déjeuner à 7h, toilette au lavabo pour lui, habillé, travail. Le soir on doit être à table pour dîner à 18h45, après quoi il regarde une émission de télévision de 19h à 20h45, puis éventuellement autre chose. Extinction des feux à 22h45 maximum.
En weekend, il vaque à ses occupations, mais a ses horaires précis pour toutes choses. Il fait le ménage et la lessive le dimanche, et prend également son bain hebdomadaire.

Quand je vais en cours, je dois envoyer un SMS pour dire que je suis bien arrivée, et un autre pour dire que je rentre. Je dois aussi appeler à midi. Si je ne le fais pas, Alain "s'inquiète" et me reproche de "l'oublier". La chose devient une routine. Je ne me rend même pas compte qu'il m'empêche de cette manière d'interagir avec les autres et qu'il me surveille.

Peu importe. À ce moment de mon existence, à 23 ans, je pense que je ne pourrais jamais avoir une vie meilleure, que j'en suis définitivement incapable.

Face à mes difficultés scolaires, Alain ne cesse de me répéter que je dois faire des fiches, mais je ne sais absolument pas comment m'y prendre. J'ai toujours fonctionné sur mes acquis de cours : j'allais en classe, j'écoutais, j'écrivais ce qu'on me disait et c'est à peine si je les relisais mes cours pour obtenir des notes dans la moyenne.
Je ne peux pas refaire le passé, mais qu'est-ce que ça aurait été si j'avais appris à apprendre plus tôt...

Toujours est-il que je valide mon premier semestre de DEUG, puis le second, mais de justesse.
J'ai quelques camarades de promotion proches, mais je ne les considère pas comme des amis. On ne se voit qu'au centre universitaire et nous n'avons pas d'intimité et rien à partager.
Durant la première année, je met une fois les pieds au restaurant universitaire. Je m'y sens très mal, envahie par le brouhaha ambiant, incapable de suivre une conversation, avec l'envie de m'enfuir qui me tenaille le ventre.
J'emporte systématiquement mon déjeuner avec moi.
Le matin, j'arrive systématiquement en avance en cours.

Entrée en deuxième année, les choses se compliquent. Je commence à être régulièrement malade. Cystites, problèmes digestifs, angoisses croissantes et j'en passe. J'apprends peu à peu à organiser mon travail, à faire des fiches, à réviser. Malheureusement ça ne suffit pas : en droit administratif, je n'arrive pas à fixer ma concentration sur les méandres de la jurisprudence et en droit civil, notre chargé de TD est obsédé par la doctrine et la philosophie du droit, sur laquelle il fait sa thèse, au lieu de se concentrer sur la bonne compréhension de la matière. Qui plus est il a un accent très prononcé et j'ai du mal à le suivre quand il parle.
Mon médecin commence à me prescrire un anxiolytique, le Stresam.

À la fin de l'année, je me battais pour valider toutes les UE (unités d'enseignement) sauf les deux matières problématiques que sont le droit Civil et le droit Administratif.

En outre à la fin du printemps 2007 Alain fait un accident vasculaire oculaire : un caillot obstrue la veine centrale de son œil gauche. Il reprochera longtemps (mais seulement à portée de mes oreilles) à mes parents cet incident, survenu alors que nous déjeunions sur la terrasse, chez eux, "alors qu'il déteste manger dehors".
Nous avons donc passé une partie de l'été à faire la navette entre Angoulême et l'hôpital Pellegrin à Bordeaux, où il a également été hospitalisé de jour pour une hémo-dilution et des examens concernant la coagulation. Il doit également passer des examens de contrôle de la rétine réguliers. Une partie, faute d'arrivée de flux sanguin, est morte. À titre préventif, pour éviter un décollement de rétine par néo-vascularisation, on lui cautérise alors au laser les petits vaisseaux endommagés.

Pour comprendre pourquoi le caillot s'est formé, on fait passer à Alain une batterie de tests, on l'envoie chez un cardiologue, un angiologue, on lui fait passer un test sanguin pour savoir s'il coagule de manière normale.
Deux choses apparaissent alors : d'une part il a une sur-coagulation probablement congénitale et d'autre part, il souffre d'une dilatation de l'aorte descendante inquiétante. Dès lors on surveille sa santé de près.

Alors que je repique ma deuxième année de Licence (le DEUG n'existe plus), on apprend que la dilatation aortique d'Alain est devenue alarmante. Chez un adulte normal, le diamètre en est de 25mm environ. Un scanner révèle une dilatation à 56mm. Le cardiologue l'effraie terriblement en lui affirmant qu'on doit l'opérer d'urgence et sort du bureau pour demander à sa secrétaire de prévoir une coronarographie à l'hôpital. Pendant qu'il est absent, Alain me dit qu'il faut qu'on se marrie. Comme ça.
C'est la mi-décembre.

Fin janvier 2008, nous sommes mariés.
Nous avions déjà conclu un PACS en 2007, pour des questions fiscales (avantageuses pour lui).
Là il transforme son compte personnel en compte joint et me rend bénéficiaire d'assurances vie déjà constituées.

Il faut cependant attendre fin mars 2008 pour qu'il soit opéré.
Je passe mes partiels alors même qu'il est hospitalisé.
On lui pose plusieurs prothèses, dont une valve cardiaque en carbone et titane, ce qui l'obligera à prendre un anti-coagulant jusqu'à la fin de ses jours.
Étrangement, je suis très détachée de ces événements. Je ne suis pas vraiment atteinte par tout ça, cela me semble infiniment distant, comme derrière une paroi de verre, assourdit. Je ne saurais pas comment l'expliquer. Je me sens concernée tout en ayant le sentiment de ne pas l'être.

Après un mois de convalescence, Alain rentre chez lui, à la maison. Il est en congé maladie et prend sa retraite dans la foulée, au 1er octobre 2008 (encore une histoire de fiscalité).

Cette dernière année de droit, où je vais obtenir ma licence va être difficile à bien des points de vue.
D'une part, je suis terriblement anxieuse et beaucoup de matières sont évaluées à l'oral, alors que c'est un exercice que je redoute terriblement. Je fini quasi-systématiquement en larmes et bégayante, même si j'ai des notes convenables (dont un 17 en droit du travail!).
D'autre part... Alain, qui est à la retraite, se montre maintenant vraiment intrusif.
Il critique les horaires de mes cours, et de mes TDs, se plaint des dates de mes partiels qui "nous" empêchent de partir en vacances quand il le souhaiterait, me reproche de ne pas l'appeler si je reste un quart d'heure à discuter avec des camarades sur le parking avant de rentrer.

Bref, même si je refuse de l'admettre, quelque chose ne tourne pas rond.

Alain a décidé que nous allions déménager dans les Pyrénées. Après avoir hésité entre Pau et Tarbes, j'avoue préférer Tarbes, plus petite et sécurisante pour moi. Il semble chercher mon bien être. Nous cherchons des maisons à vendre. Alain se focalise parfois sur des détails, mais c'est lui qui a l'argent, c'est lui qui veut déménager, c'est lui le maître, alors je ne fais que suivre le mouvement.

J'obtiens ma Licence sans devoir passer le rattrapage.
Les choses sont étrangement confuses dans mon esprit, concernant cette période là...
Je ne vivais pas ma vie, à ce moment là, j'étais absente à moi même.