jeudi 19 mai 2011

Les années collège... cinq ans de souffrances.

En septembre 1993, j'entrais enfin au collège. 6èmeB.
Le premier jour j'avais voulu jouer les "grandes", j'avais mis une jupe, un chemisier et des sandales avec des petits talons qui me semblaient alors démesurés. Je pensais que je me dépouillerais enfin de mon étiquette de "fille d'instit", que les garçons commenceraient à me regarder, que les filles deviendraient mes amies. Mais c'était compter sans la répartition géographique. Dans ma classe je retrouvais tous les élèves de CM2 que j'avais côtoyés les deux années précédentes. Les autres élèves me faisaient peur. Au bout d'une heure, j'étais perdue et ne rêvais plus que d'ôter ma panoplie de fille modèle pour redevenir la gamine effacée et mal coiffée, en jogging.
Tous ces couloirs et escaliers, ces numéros de salles, ces noms de professeurs me faisaient tourner la tête, paniquer. Les grands me terrorisaient, avec leur habitude de nous bousculer, nous les "bleus" du collège, se frayant un chemin dans les couloirs encombrés.

La première fois que j'ai du monter au réfectoire a été une épreuve.
Toutes les autres fois aussi, d'ailleurs.
Faire la queue, pressée contre les autres, attendre le signal du surveillant pour monter les escaliers, se faire bousculer par ceux qui courraient, qui voulaient arriver les premiers. Puis devoir prendre le plateau, les couverts, les verres, devoir choisir entrées et desserts, puis le plat, sans avoir droit de dire "je n'aime pas ça". Devoir prendre du pain, parce que les pions insistent. Et puis surtout... devoir trouver une place.

Le réfectoire, c'était une salle polyvalente de 200 places, avec des tables rectangulaires fixées au sol. Les gamins s'y installaient par petits groupes d'affinités, souvent garçons et filles séparées, et laissant des places vides entre les groupes. Alors quand on était seul, il fallait s'intercaler entre les groupes, sous réserve d'acceptation. Et j'étais souvent rejetée, par un regard noir, mais surtout par un "c'est déjà prit" plein d'assurance et de méchanceté. Alors j'allais plus loin. Et parfois quand je finissais par trouver une place, ou qu'un pion m'en imposait une à force de me voir tourner en rond, j'étais bousculée. On me prenait mon pain, que je ne mangeais pas, de toute façon, ou mon friand, mon dessert...

Le premier jour de classe, je m'étais proposée pour devenir déléguée de classe. J'avais très envie d'assumer cette fonction. J'éprouvais un besoin d'assumer des responsabilités. Mais comme souvent, ce furent les plus populaires qui furent finalement élus.
Par la suite, au cours de ma scolarité, j'essayais année après année d'obtenir ce statut, sans jamais l'obtenir. Non par "soif du pouvoir", mais par besoin d'être reconnue, simplement.

Aux environs de fin septembre, mon professeur de français nous donna comme sujet de rédaction notre arrivée au collège et nos premières semaines de classe. Je rédigeais un texte très critique où perçais toute ma souffrance, mon sentiment d'inadaptation, mes peurs faces aux autres, qu'ils soient élèves ou enseignants. Sur ma copie, mon professeur laissa des encouragements, affirmant que je finirais par m'y faire. Cinq ans plus tard, je retrouvais cette copie et pleurait à chaudes larmes sur mes illusions perdues.

Ma sœur était certes au collège, mais là plus que jamais auparavant, nos deux années de différence d'âge nous séparaient. Elle aurait sans doute été encline à m'accepter dans son groupe d'amies, mais toutes n'étaient pas du même avis. À 11ans, on est un bébé au regard de "grandes" de 13ans. J'étais donc rejetée par la plupart.

Durant les récréations, je m'isolais, partais m'asseoir sur un banc ou sur les marches du gymnase, et en attendais la fin. Je continuais d'apprendre la solitude, me protégeant ainsi de la méchanceté des autres enfants. Lorsque quelqu'un venait me voir, je ne pouvais m'empêcher d'y voir une agression, un forme de moquerie dans le fait de m'adresser la parole.
De tout le collège, j'étais désormais reconnue comme étant une fille d'instit, fille de prof. Comme une tare, une maladie.
Qui plus est j'étais agressive quand on me "charriait".

Je me suis éloignée des autres, dès que j'ai senti que je ne les comprenais pas, de peur de mal faire, de m'y prendre mal. Et de peur du contact, aussi, qui m'angoissait sans que je sois capable de l'expliquer. J'évitais autant que possible de faire la bise aux "copines" le matin, des gamines dont je ne comprenais pas l'intérêt pour moi. Je ne voyais en elles que des hypocrites et le bise bise rituel m'exaspérait.

J'ai aujourd'hui conscience que ma vision des choses était biaisée, pervertie par ma dépression naissante, ma peur des autres et de leurs pensées.

J'étais de plus en plus terrorisée à l'idée de passer au tableau, de devoir être exposée au regard scrutateur de toute la classe. Plusieurs fois en ces circonstances, je restais paralysée, tremblante, à regarder mes pieds sans pouvoir sortir un son, à me mettre à pleurer. Je développais une pensée magique, des prières personnelles pour ne pas être interrogée.

Mon humeur se détériora. Je pleurais souvent. Devenais de plus en plus colérique et en conflit ouvert avec ma mère.

Vers l'âge de 12 ans, je consultais une psychologue. Mais de voir celle ci s'entretenir avec ma mère me fit perdre toute confiance en elle. Et de tout ce que je pouvais lui dire sur l'école ou ma mère, je me sentais toujours coupable, rebelle, face à une mère aimante et protectrice. Je n'ai jamais eu le sentiment d'être écoutée et comprise et au bout de deux ans, je finissais par déclarer que je me sentais mieux et laissais tomber. Durant ce délai, j'avais enfermés mes sentiments à double tour. Je ne pleurais plus. Mais je ne riais plus non plus. J'étais devenue sèche comme la pierre. Mais parfois j'explosais en crises de nerfs effroyablement destructrices.

Poussée dans mes retranchements, j'éclatais.
Une interrogation surprise à cause du désordre en étude me donna un jour l'occasion de m'humilier publiquement devant le tiers des élèves du collège, si ce n'est plus...
Tous les vendredi après-midi, une grosse partie des élèves se retrouvaient en étude.  Trois classes, parfois quatre se rejoignaient en salle polyvalente, pour une heure, deux, voire trois. La faute aux enseignants, qui s'arrangeaient pour ne pas avoir de cours le vendredi après midi, afin de se ménager un week end anticipé. Et cette année là, j'avais en alternance une semaine sur deux, une heure de CDI tous les vendredis de 13h45 à 14h45, puis deux heures d'étude. Donc une semaine sur deux, trois heures d'étude. Et chaque semaine, je devais supporter l'angoisse (que je n'identifiait pas comme telle à l'époque) d'être confinée ainsi avec les autres, dans cette grande salle. Je me plaçais toujours au même endroit, de sorte à être dans un angle, face à l'ensemble de l'espace, ce qui me rassurait un peu.
Et tous les vendredi, à l'approche de la fin des cours, vers 16h30, l'ambiance devenait plus dissipée, emplie de bavardages de plus en plus enthousiastes. Et immanquablement, les surveillants essayaient de faire preuve de leur autorité, tentaient de ramener le calme.  Le plus souvent par une punition collective.
Cette fois ci, ce fut une dissertation, un texte argumentatif dans lequel nous devions expliquer pourquoi l'école n'était pas parfaite et en quoi elle était perfectible. J'écrivais avec rage. Et à chaque mot, ma colère enflait, ma panique avec, mon angoisse devenant tonitruante.
Lorsque le surveillant vint ramasser les copies, j'éclatais, évacuant d'un coup la tension accumulée, me rebellant contre l'injustice de la punition, contre la perte de temps infligée à la multitude à cause de quelques éléments perturbateurs pour lesquels la punition de leurs camarades ne faisait ni chaud ni froid. Je les traitaient de cons, eux, les pions qui passaient leur temps à élever la voix contre les récalcitrants, stressant tout le monde, nous empêchant de travailler, alors que le brouhaha général, de par son caractère indistinct ne nous portait pas préjudice. Bien sûr je ne me souviens pas de mes arguments, de ma façon de les tourner.
Ce dont je me souviens parfaitement, c'est de ma douleur mentale, insoutenable, de ma panique totale face à cette situation intenable. Ce dont je me souviens c'est d'avoir hurlé à pleins poumons. C'est de m'être mise à trembler de tous mes membres, à ne plus pouvoir tenir debout sans appuis. Et c'est de ma honte profonde d'avoir ainsi éclaté.

Certains camarades me portèrent au nues, bien sûr parce que j'avais haussé le ton contre un surveillant, parce que je m'étais rebellée. Mais moi, j'avais si honte, tellement honte de moi.
Je devais avoir 12 ans à peine. Peut être 13.

Après cet évènements, tous les vendredi, j'allais en vélo au collège. 7 kilomètres de côtes et de descentes, habitant sans doute le coin le moins plat de la Charente...
Au fil des semaines, je mis de moins en moins de temps à parcourir cet itinéraire accidenté et m'habituais à ce sentiment de liberté immense que j'éprouvais sur ma bicyclette, quand je revenais du collège. Sans doute aussi que cet exercice hebdomadaire régulait mon organisme, sans que j'en ai alors conscience.
Quand je ne prenais pas le vélo, je séchais purement et simplement les heures d'étude, sortant du collège à 13h30, aidée du mot inscrit dans mon carnet de liaison, m'autorisant à sortir du collège le vendredi après midi, et j'allais à Intermarché ou à Champion, m'acheter des bonbons ou du pop corn, que j'allais grignoter à l'abri du lavoir, à l'autre bout de la ville.
Vers 17h, je me glissais dans le collège, attendais la sonnerie dans les toilettes, puis allait rejoindre les élèves en attente de leur bus.
Une fois je laissais filer l'heure et loupais mon bus et je fus mortifiée de ne parvenir à joindre ni mes parents ni l'école de ma mère. Je finissais par appeler une voisine au secours, mortifiée.

À 14 ans, j'avais encore ces heures d'études du vendredi, mais j'obtenais le droit de conduire un deux roues.

Une autre fois, j'éclatais en cours de mathématiques. Lors de ma deuxième année de 5ème, je pense, c'est à dire vers 14 ans. Je n'avais pas compris la leçon précédente. Ne l'avais pas signalé, comme d'habitude, parce que je ne supportais pas de me faire remarquer, et parce que le professeur pouvait être cruel et moqueur, à l'occasion.
Ce matin là, j'avais voulu lui parler avant d'entrer en cours, lui dire que je n'avais pas réussi à faire les exercices, que je n'avais pas compris. J'étais terrorisée à l'idée qu'il s'en rende compte en cours, qu'il passe à coté de moi et constate que les exercices étaient restés vides de solutions sur mon cahier, et qu'il se moque publiquement de moi.
Mais avant que j'ai pu ouvrir la bouche, il me désignait pour corriger les exercices au tableau, pendant qu'il allait bricoler dans la salle informatique, attenante à sa salle de cours. Et avant que j'ai pu protester, il avait fermée la porte derrière lui.
Seule avec mon angoisse, je ne savais que faire. Poussée par les autres, par l'angoisse, j'agrippais me cahier, montais sur l'estrade, tremblante et saisissais la craie. Puis je restais là, plantée par l'angoisse, le sentiment de faute, de défaut. J'essayais d'ignorer les choses, me tournais vers le tableau, tentais de faire semblant de savoir quoi faire. Essayant de me préparer à la critique inévitable, la moquerie, la punition.
Quand l'enseignant pénétra dans la classe, j'étais figée sur ma craie, face au tableau, les larmes aux yeux, les jambes flageolantes. La colère perçait dans sa voix quand il critiqua ma lenteur à corriger. Alors je craquais et retournais contre lui toute ma peur, ma colère contre moi de ne pas avoir su, de ne pas avoir pu faire ces maudits exercices, et pire encore, mon incapacité à supporter le regard des autres sur moi, sur mon dos, sur ma nullité et mon incompétence. Je les excluais de l'affaire et me tournais toute entière contre ce prof qui me terrorisait sous ses faux airs de sympathie, sous ses fausses blagues potaches que je trouvais humiliantes et insultantes. Je lui crachais ma haine de lui, des maths qu'avant j'adorais, je l'agressais de toutes mes forces. Avant de m'effondrer littéralement, physiquement et psychiquement.

♦♦♦

Peu à peu je me suis isolée, mise à l'abri des autres. J'ai commencé à m’installer systématiquement au premier rang, comme pour faire disparaître les autres. J'ai cessé d'aller déjeuner à midi, pour ne plus avoir à faire la queue, pour ne plus affronter le regard des autres quand j'arrivais avec mon plateau dans une salle bondée, refusée de tous quand il s'agissait de s'asseoir à coté d'un groupe ou un autre.

Jamais je n'ai pu travailler en "étude". Le sentiment d'être observée était insupportable. De même qu'en classe. Je buttais sur tous les exercices, tiraillée par la certitude que j'allais me tromper, être interrogée et être la risée de tous.

Les autres me "chahutaient", j'étais la "fille bizarre", celle qui reste seule pendant les récrées, qui ne fait pas la bise le matin, qui préfère rester assise seule dans le bus, ou encore aller en "autodiscipline" plutôt que de rester dans la cour ou en salle d'étude. Je n'étais pas studieuse, mais je me cachais. J'appréciais la "contention" de la petite salle d'autodiscipline, son silence, sa proximité rassurante avec la salle des professeurs.

J'ai fais quelques "bêtises", m'attachant à un groupe un peu "rebelle", avant de comprendre qu'ils se fichaient bien de moi (mais pas de mon argent de poche mirobolant à leurs yeux).
Mais je suis restée seule.

À 16 ans, j'ai passé le BEPC et j'ai stressé comme une malade.
Je l'ai eu.
Je suis passée en seconde, au lycée Marguerite de Valois.

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